• Le Père Ivan Nicolaevitch de Kologrivof

     

    Qui ne se souvient encore ici du prince Constantin de Kologrivof (1892-1958) dont la stèle funéraire évoque la mémoire à la pelouse d'honneur du cimetière d'Enghien, et de son épouse, Nina Doumbaze, princesse Gourielly (1890-1964) dont la pierre tombale, elle, a curieusement disparu aujourd'hui au même cimetière (1) ?

    L'un et l'autre furent généreusement accueillis à Enghien et vécurent dans l'un des pavillons du parc, l'actuelle maison de M. Michel Demoortel.

    Moins connu des Enghiennois fut son frère Ivan, qui, de hussard de la garde impériale, devint célèbre dans la Compagnie de Jésus. Il fit de nombreux séjours à Enghien et, sans doute, eût-il mérité d'en devenir citoyen d'honneur, si tout simplement quelqu'un y avait songé ... C'est à ce titre -notamment- qu'il s'indique de relever ce Mémoire.

    La famille de Kologrivof appartient, selon les uns, aux boyards de la Maison de Radcha dont descendent notamment les Boutournine et les Pouchkine; selon d'autres, elle serait à rattacher à la race royale des Arpad, d'origine hongroise venue s'établir en Russie au XIIe siècle.

    Quoi qu'il en soit de ses lointaines origines, Ivan naît à Saint-Petersbourg le 1er novembre 1890 et y est baptisé dans la religion orthodoxe.

    A quatorze ans, il apparaît qu'il a perdu la foi et entreprend, trois ans plus tard, des études préparatoires à la carrière diplomatique au Lycée Impérial Alexandre II à Saint-Pétersbourg. Il en sortira brillant docteur en droit, connaissant parfaitement le français et l'allemand. Mais le voilà qui rentre à l'armée : il fait partie du corps de garde du tsar avant de participer comme capitaine aux premières hostilités de la première guerre mondiale. Par la suite, il est de ce million et demi de russes qui devront fuir leur patrie. Lui, trouvera asile en Suisse, plus exactement à Lausanne, hébergé chez l'une des gouvernantes de son enfance: il est tantôt taximan tantôt garçon d'hôtel ... De quoi s'enivrer dans les parfums d'une brillante époque désormais révolue.

    Or, le voici qui désire rentrer dans la Compagnie de Jésus et, à défaut d'obtenir un visa pour la France, il arrive à la Maison Saint-Augustin à Enghien qu'occupent alors les Jésuites de la province de Champagne, expulsés de France. Il y suit quelques cours et perfectionne ses connaissances de latin. Il est ensuite autorisé à entrer au noviciat de Mons (France), puis au scholasticat de Vals près du Puy (1923), fait sa théologie à Enghien (1926-1929) et reçoit l'ordination sacerdotale au Puy (1927).

    Il est ensuite envoyé à Münster et souhaiterait l'être en Russie mais le Père général ne l'y autorise pas.

    Il séjourne successivement à Amiens où il donne des cours, à Paris où il s'occupe de la Bibliothèque slave et des émigrés russes, aux Pays-Bas où il intéresse maints auditoires, en Allemagne où il passe la guerre. Après celle-ci, il séjourne en Suisse pour se rétablir la santé, puis en France où il rédige plusieurs ouvrages avant de s'installer à Rome où il s'occupe de l'Institut oriental et enseigne le russe et l'histoire de la spiritualité russe.

    Dès 1926 il a commencé à publier des études sur la révolution russe, la princesse Catherine Ivanovna Troubetzkaja, la tsarine Alexandra Féodovna. Ses travaux vont toutefois prendre une autre orientation : l'apologétique avec une série d'ouvrages contre les Sans-Dieu (1934-1936), et l'histoire de la spiritualité russe (1948-1955), ce qui ne l'empêche pas d'enseigner la théologie orientale à Enghien. Après quelques mois de maladie, il décède à Rome le 8 juillet 1955.

    Précisons ici que, tout en restant loyal à l'égard de la famille impériale, Ivan de Kologrivof, alors en Russie, estimait une révolution nécessaire et une réforme agraire indispensable. Hélas, la révolution à laquelle il songeait, sera dépossédée par la mainmise bolchevique et manquera son but, et c'est en vain qu'après les tragiques évènements de février 1917, il fera partie avec d'autres aristocrates de ces comités qui tenteront de réorganiser l'armée sur des principes démocratiques et de veiller à une juste répartition des terres agricoles.

    Après s'être appliquée à retracer la vie du Père de Kologrivof, Soeur Diane Kets (2) analyse ses diverses publications et souligne l'originalité de ses travaux d'histoire et de théologie pour conclure qu'il fut l'un des pionniers de l'histoire de la sainteté en Russie comme partie intégrante de l'histoire de l'Eglise universelle : cette spiritualité dont elle relève les caractères et thèmes à travers l’œuvre du Père, tout en étant particulière à l'âme russe, s'inscrit néanmoins dans la spiritualité universelle. L'orthodoxe et la catholique sont, sans doute, différentes à maints égards, mais sont très proches et le Père les respecte l'une et l'autre : il reconnait, précise-t-elle, la complémentarité, catholicité et apostolicité du patrimoine spirituel, liturgique, disciplinaire et théologique des deux traditions.

    Ce Mémoire s'achève par le relevé des publications d'Ivan de Kologrivof : une vingtaine dont plusieurs ont été traduites en allemand, anglais, espagnol, français, italien, néerlandais..., et par une abondante bibliographie.

    Terminons ce compte-rendu en soulignant l'extrême complaisance du Père Ivan de Kologrivof : il collaborait très volontiers à nos recherches historiques - notamment sur Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, seigneur d'Enghien - et se faisait un plaisir de piloter les Enghiennois en visite à Rome.

     

    Yves Delannoy

     

      (1) Constantin de Kologrivof né à Saint-Petersbourg le 15 octobre 1892, naturalisé belge en 1949, décédé en 1958. Nina Doumbaze, née à Batum (Russie), le 16 mai 1890, naturalisée belge par option en 1950, décédée à Enghien le 8 février 1964. 

    (2) Soeur Diane Kets, de la communauté des Sorores Christi, a présenté, en 1995, une thèse de doctorat à l'Institut Pontifical des Sciences Orientales de Rome : Ivan Nicolaevitch de Kologrivof, s.j, Témoin du Verbe Incarné et de la Sainte Russie, Pontificum Institutum Orientale, Facultas Scientiarum Ecclesiaticorum Orientalium, Dissertatio ad Doctoratum, Roma, 1995.

     

    Source : Bulletin trimestriel du Cercle Royal Archéologique d'Enghien - N° 9 - 12/95 - Décembre 1995 - pp. 1-3.