• La Peste à Enghien et St Nicolas de Tolentin (1667-1670)

     

    Il n’est peut-être pas sans intérêt, non seulement pour l’histoire particulière, mais en général pour l’époque à laquelle se rapportent les faits que nous allons relater, de faire revivre ces terribles années de peste à Enghien.

     

    La peste à Enghien et St Nicolas de Tolentin (1667-1670)
    Médecin de peste durant une épidémie à Rome au XVIIe siècle (gravure de Paul Fürst, 1656) : tunique recouvrant tout le corps, gants, bésicles de protection portées sur un masque en forme de bec, chapeau et baguette. Le surnom « Doctor Schnabel » signifie « Docteur bec ».
     
    Pendant la pandémie de peste noire au XVIIe siècle, les médecins portaient des masques à bec, des gants en cuir et de longs manteaux pour tenter de repousser la maladie. Leur apparence iconique et menaçante est encore très reprise dans le cadre de carnavals, notamment celui de Venise.

    Les médecins de la peste remplissaient notamment leurs masques de thériaque, célèbre contrepoison hérité de la Rome antique composé de plus de 55 herbes médicinales, de poudre de peau de vipères, de cannelle, de myrrhe et de miel.

     

    Nous nous figurons trop facilement l’indolence et la négligence des autorités en présence de la terrible maladie. Détrompons-nous. Sans doute les mesures d’hygiène qu’on prendrait à l’heure actuelle en présence de pareille contagion étaient inconnues à cette époque, mais les comptes de la ville, comme la présente étude en fera foi, prouvent que des précautions sérieuses furent prises et que l’édilité communale n’épargna pas les dépenses.

    Voici les mesures qui furent mises à exécution :

     

    I. SENTINELLES.

     

    La peste était dans les environs. Déjà le village d’Hérinnes était contaminé. A partir du mois de juillet 1667, la ville plaça des sentinelles. C’est d’abord Georges Denys, plus tard Michel Damiens. La sentinelle avait reçu comme mot d’ordre d’empêcher toute relation avec Hérinnes, espérant arrêter la maladie aux portes de la ville même.

    Au mois d’août nouvelles alarmes. Le village de Castre est décimé par la peste. Un nouveau veilleur Guillaume Everatz est posté à la porte de Bruxelles pour couper toute communication avec Castre, et la grande route de Bruxelles.

     

    II. ELOIGNEMENT ET GROUPEMENT DES MALADES.

     

    Malgré leur vigilance, la contagion gagna du terrain et envahit la cité d’Enghien.

    Dès lors, tous les soins de l’autorité locale tendirent à éloigner les malades en les groupant. La ville arrentait de la famille d’Arenberg une prairie située hors la porte de Bruxelles. Cette prairie était connue sous le nom de « Buyck-veste ». De ce chef, Enghien payait tous les ans 25 livres. Louis de Moy avait pris en bail la Buyck-Veste pour un terme de six ans au prix de 62 livres par an. Gilles Stryckwant avait repris le bail pour son compte.

    Le magistrat jugea cet emplacement bien situé pour y reléguer les pauvres pestiférés et renonça par le fait à la rente annuelle de 62 livres.

    Le 26 avril 1668, on y érigea des habitations ou plutôt des baraquements pour les malades. En octobre 1668, on y construisit encore une maison et deux baraques. Malheureusement un incendie fit flamber tout le lazaret qui fut réédifié en avril 1669.

    Aucun moyen n’était négligé pour séquestrer les contagieux. Le chirurgien Boutmy fut désigné par les échevins pour faire deux visites chez Papeleu, rue du Château, et deux chez Jacques Van Ro pour s’enquérir si les malades qui y habitaient, étaient, oui ou non, atteints de peste, en vue, dans l’affirmative, de les isoler sur la Buyck-veste.

    Ces mesures sont quelquefois assez étranges comme le prouvera le fait suivant. Laurent Boisd’Enghien habitant rue des Capucins, infecté le 20 mars 1669, est prié de se rendre sur la Buyck-veste. Une allocation quotidienne de quatre patars pour un lot de bière lui fut accordée ; pour les 41 jours qu’il y resta, il reçut 16 livres 8 sous !

    Pour en savoir plus : Le Buychveste - Hospice des Pestiférés à Enghien.

     

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    III. MESURES DE POLICE.

     

    Des mesures de police furent prises.

    Pour avoir violé leurs prescriptions, deux dames, les épouses Nicolas Mary et Charles Brisart, furent condamnées : la première à une amende de 23, l’autre de 12 livres.

     

    IV. PERSONNEL SPECIAL.

     

    Il fallut se pourvoir d’un personnel pour le service des malades de la Buyck-Veste.

    Nous ne parlerons pas de Maître Jacques, chirurgien, qui, au début, prodigua ses soins aux malades de la peste. C’était une fonction dangereuse, et la ville fit appel à des hommes de dévouement. Il fallait désigner des

    Fossoyeurs tels que Jacques de Meur, Thomas Seghers, Louis de Moy, Jean Antoins, et Jean de Clercq.

    Mais bientôt le fléau s’étendit de plus en plus et on créa des emplois confiés, d’abord, à « une maîtresse de peste » pour s’occuper des malades de la « Buyck-Veste » et, plus tard, à un « maître de peste ».

     

    Maîtresse de Peste. La femme de Nicolas Maryse se présenta pour l’exercice de cette dangereuse mission. Elle resta en fonction du 8 octobre 1668 jusqu’au 26 février 1669. Nous n’avons retrouvé aucune trace d’une autre « maîtresse de Peste ». Par contre nous savons que l’épouse Nicolas Mary, comme nous l’avons vu, fut frappée d’une amende.

    Nous avons plus de détails au sujet du

     

    Maître de Peste.

    Le premier « maître de Peste » fut Julien de Renard. Les comptes de la massarderie nous le montrent à son poste depuis le 28 mars jusqu’au 19 juin 1669. Il reçut quatre livres et six sous par jour.

    D’où vint-il ce Julien de Renard ?

    II était étranger, car nous apprenons que la Ville paya 11 livres à Staumont qui fut chargé du soin de « la voiture de bagage de nostre mre de Peste ». 

    Après lui la ville fut dans l’embarras ; elle se trouva dépourvue et de maître et de maîtresse de Peste.

    Elle envoya Louis Walravens, dans les premiers jours de juillet 1669, à Hal, pour y rencontrer un nommé Nicolas Van Schoer et le décider, si possible, à venir à Enghien en qualité de maître de Peste.

    Les négociations aboutirent, et Walravens ramena Van Schoer. Ses meubles furent transférés aux frais de la commune.

    L’accord entre le magistrat et le nouveau maître de peste fut conclu le 4 juillet (*). Louis de Causener se mit au service de Me Van Schoer et fut rétribué en cette qualité par la commune.

     

    Soins spirituels des Pestiférés.

    Les soins corporels à donner aux victimes de la cruelle épidémie préoccupèrent justement les autorités civiles ; cependant, les édiles n’oublièrent pas de songer aux âmes.

    D’ancienne date, la ville avait fait accord avec un vicaire, Joseph Lion, en lui allouant, sa vie durant, une pension annuelle de 25 livres à la condition expresse de soigner les intérêts spirituels des infectés en cas de maladie contagieuse.

    Hélas ! le bon prêtre trembla et recula devant ce périlleux ministère. Il refusa de se mettre au service des pestiférés. Le magistrat lui réclama tous ses gages antérieurs et fut s’enquérir d ’autres prêtres dévoués.

    Les Pères Capucins acceptèrent cette dangereuse mission.

    Où habitèrent les pères se dévouant aux pestiférés ? (*) Leur réserva-t-on d’abord une habitation construite sur la Buyckveste ? Quoi qu’il en soit, au commencement de 1669 ou même à la fin de 1668, nous trouvons le P. Damascène résidant à l’hospice Ste-Croix. Plus tard ces religieux occupèrent une maison de la Dekenstrate (rue du Doyen) appartenant à la veuve Etienne Papeleu et que la ville mit à leur disposition (**).

    (*) Au jardin des Capucins, il y avait une chapelle St Roch affectée au service des pères soignant les pestiférés. Cette chapelle servit-elle en ces années ?

    (**) Peut-être les travaux à l’hospice Ste-Croix se rapportent-ils au séjour du P. Damascène ?

    Pour s’occuper des malades un religieux ne suffisait pas, toujours deux étaient employés, remplacés au fur et à mesure de leur changement.

    Par l’intermédiaire de Marguerite Van Holder, mère spirituelle des Capucins, et de dame Jacques Legrel, leur mère Syndique, la Ville pourvut à l’entretien des Pères des Pestiférés. Nous voyons qu’elle leur donna 60 livres « pour les employer à une récréation », elle leur procura du poisson, du pain, du vin, des chandelles, de l’huile pour la lampe du petit sanctuaire, le fameux Triacle de Venise qui était un médicament très réputé alors contre la peste (*), et des sommes assez importantes pour leur entretien.

    (*) Triacle ; latin Triaca, theriaci , nom de plusieurs médicaments de l’ancienne thérapeutique. Le triacle de Venise était très connu.

     

    La peste à Enghien et St Nicolas de Tolentin (1667-1670)
    Fabrication du Triacle (Thériaque)

     

    Huit capucins tombèrent victimes de leur noble dévoûment (*).

    (*) Balduinus de Housta , Historia chronol. monasterii Angiensis ordinis… S. P. Augustini. Ms. t. I , p. 268. Ce manuscrit en deux volumes est conservé au Collège de St Augustin à Enghien.

    Voir sur cet auteur et son manuscrit : E. Matthieu, Histoire de la Ville d’Enghien, Mons, 1876, pp. 553-554.

    B. de Housta fut provincial des Augustins.

    Notons que le P. de Housta dit que huit capucins et quelques augustins moururent au service des pestiférés en 1668. Au second volume de son Histoire chronologique, il donne l’obituaire du couvent des Augustins d'Enghien. A l’année 1668, nous n'y trouvons mentionné aucun décès.

    A l’année 1669, il y eut deux décès :

    • Frère Judocus Lenoir, d’Horrues, laïc, mort à l’âge de 78 ans, après 33 années de religion, le 14 mars 1669.
    • Le très érudit P. Jean-Baptiste Rebs, natif d’Enghien, licenciéen théologie, sous-prieur, ayant rempli plusieurs autres fonctions aveczèle. Il mourut, âgé de 60 ans, après 41 ans de profession, le 18mars 1669.

    Ces religieux moururent-ils de la peste? C’est possible, vu la date rapprochée de ces deux décès. Rien cependant ne nous confirme qu’ils moururent au service des pestiférés.

     

    Dépenses occasionnées par l’épidémie. 

    En annexe du compte de la Massarderie figurent, dans un chapitre spécial, les dépenses afférentes à l’exécution des précautions prises pour lutter contre la peste.

    Pour l’exercice 1667-1668, le total des mises spéciales pour la peste fut de 368 livres ; pour l’exercice 1668-1669, de 2485 livres, 14 sous, 6 deniers ; pour l’exercice 1669-1670, de 1930 livres, 17 sous ; soit l’ensemble pour ces trois années 4784 livres 11 sous.

    Comme il ressort de ces chiffres, ce fut l’exercice 1668-1669 qui fut le plus chargé. C’était l’époque de la construction et de la reconstruction des lazarets sur la Buyck-Veste (octobre 1668 et avril 1669).

    Il n’est pas moins intéressant de comparer la somme représentant la valeur des médicaments délivrés par l’apothicaire Mom.

    En 1667-1668, cette somme s’éleva à 99 livres, 16 sous ; en 1668-1669, elle monta à 135 livres, 6 sous ; en 1669-1670, à 216 livres.

    Ces dépenses exceptionnelles jointes aux frais occasionnés à la ville par le passage et le campement des armées françaises, obtinrent à la ville d’Enghien l’octroi, de la part du grand bailli du Hainaut, de contracter deux emprunts, l’un le 11 juillet 1670 et l’autre le 18 juillet de la même année.

     

    V. OFFICES RELIGIEUX & PROCESSIONS.

     

    Le 21 février 1668, les échevins firent chanter une messe solennelle en l’honneur de St Roch, patron contre les épidémies pour demander par sa puissante intercession d’être préservé de la peste.

     

    La peste à Enghien et St Nicolas de Tolentin (1667-1670)

    Statue de Saint Roch - Enghien

     

    Un autre saint très populaire à Enghien était saint Nicolas de Tolentin, surtout depuis la grande faveur qu’on attribua à son intercession lors de la peste de 1602-1603. A cette époque calamiteuse, on fit une procession en ville avec l’image de saint Nicolas de Tolentin et la peste avait cessé à partir de ce moment (*). La ville tout entière fit vœu, à cette occasion, d’assister tous les ans à la procession et aux offices de l’octave du saint Protecteur.

    (*) de Housta , t. I, p. 161. L’auteur ajoute que le P. Jean Noevius cite ce fait miraculeux dans son ouvrage : Eremus Augustiniana.

    Voir sur le Culte de St Nicolas de Tolentin, le même auteur, t. I, pp. 364, 366, 367 ; t. II, pp. 153-154 ; p. 154 est transcrite copie d’une attestation munie du sceau échevinal, par laquelle le magistrat certifie la faveur de 1602 et la dévotion de la population à St Nicolas.
    25 avril 1710.

    Inutile de dire que toute la population se prosterna en 1668 aux pieds du glorieux libérateur de 1602. Le chroniqueur de la maison des Augustins d’Enghien le fait remarquer. Durant les quatre derniers mois de 1668 et en 1669, beaucoup de messes solennelles furent chantées en l’honneur de Nicolas. Déjà au mois de juillet 1668 dix offices solennels eurent lieu en son honneur dans l’église des Augustins sur les instances du peuple. Aussi la confrérie de St Nicolas, fondée dès 1490, fut réérigée et renouvelée.

     

    La peste à Enghien et St Nicolas de Tolentin (1667-1670)

    Reliquaire de Saint Nicolas de Tolentin - Enghien

     

    Le bailli de Massiet, son épouse, ses enfants et les principaux habitants d’Enghien s’y firent admettre. Les inscriptions furent très nombreuses (sous l’année 1668).

    Le 5 août 1669, le Magistrat se fit un devoir de faire célébrer une messe solennelle en l’honneur de St Nicolas de Tolentin, en l’église des PP. Augustins.

    Quelques jours plus tard, le 16 août, ils ont commandé des cierges, pour la procession organisée à l’occasion de la fête de saint Roch.

    Enfin, quand, le 22 mars 1670, le fléau cessa, le bailli et les membres du Magistrat participèrent à la grande procession faite en actions de grâce à Dieu dont la miséricorde avait délivré Enghien de l’épidémie qui, durant trois ans, avait décimé la population.

     

    Père BASILE de Bruges.
    Capucin.

     

    Source : Annales du Cercle Royal Archéologique d'Enghien - Tome 8 - 1915-1922 - pp. 183-197.

     

     

     

     

     

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    La peste à Enghien et St Nicolas de Tolentin (1667-1670)

    La peste à Enghien et St Nicolas de Tolentin (1667-1670)

    Statue de Saint Roch -Eglise Saint Cyr et
    Sainte Julitte - Villejuif (France)

    L’intercession de Saint Roch
    (Rubens : copie du XVIIIe siècle)
    Eglise Saint Cyr et Sainte Julitte - Villejuif (France)

     

    Source : http://roch-jaja.nursit.com/spip.php?article1119