A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
Excursion à Enghien
le dimanche 6 octobre 1889, avec M. FOURDIN.
Départ d'Ath à 12h50 - Retour à 6h11.
Notre collaborateur et ami, l'éminent Professeur Jules DEWERT, nous envoie le récit, demeuré inédit,
d'une visite faite par lui à Enghien, le 6 Octobre 1889, en compagnie du non-moins éminent Architecte FOURDIN.
Ce document rétrospectif, à la fois archéologique et humoristique, souligne bien le caractère frondeur des Belges, et particulièrement des Wallons.
Les Enghiennois sont assez frondeurs eux-mêmes pour ne pas s'en alarmer. (N.D L R.).
ENGHIEN est une petite ville assez coquette, où l'on peut voir un bon nombre de maisons espagnoles et de maisons du 18e siècle. Mais on peut lui reprocher le pavage préhistorique de ses rues et la boue noire et grasse qui embellit la rue principale.
Nous étions attirés à Enghien par le désir de voir l'église, le tombeau de G. de Croy et le parc du duc d'Aremberg.
Nous pénétrons dans l'église par un portail latéral en gothique flamboyant. La voûte du porche est en arc de cloître dont les nervures sont soutenues par des culs de lampe et des figures intéressantes.
L'église, dont l'exécution laisse beaucoup à désirer, a été des plus mal conçue ; au plan primitif sont venues s'ajouter diverses parties qui s'y rattachent grossièrement et en dépit du bon sens. Elle se compose de la grande nef, flanquée à droite et à gauche d'une petite nef ; à côté de la petite nef de droite s'en trouve une plus grande. Sur celle-ci vient se greffer une grande chapelle ; enfin l'autre entrée latérale donne dans une seconde chapelle.
L'aspect de l'édifice est sombre et disgracieux ; les colonnes sont basses et très grosses ; elles sont surmontées de chapiteaux octogones ; les arcades des petites nefs manquent de symétrie ; on voit par exemple une arcade ogivale surmontée d'une autre arcade pleine, mais dont le sommet ne correspond nullement à celui de la première. La clef de voûte de la grande nef est grossière et mal équilibrée. La chaire de vérité en bois sculpté est lourde et primitive ; l'abat-voix est énorme et, par son épaisseur et son diamètre, doit être pour le prédicateur une menace à la Damoclès. Les fonts baptismaux en pierre ont un couvercle en cuivre mû par une potence en fer qui, malheureusement pour elle, nous fait penser à celle de Hal.
Le jubé et le maître autel sont de la Renaissance, mais sans aucun cachet artistique.
La vaste chapelle latérale de droite a un plafond plat et plâtré dont les panneaux sont remplis par des écussons, des corbeilles de fleurs, des rinceaux. On y lit la date 1690. Dans cette chapelle se trouvent 3 tableaux ; celui de droite est fort curieux ; il représente des personnages en costume du temps, probablement des magistrats, soulageant les pauvres en leur distribuant de la nourriture et des vêtements.
Nous rentrons dans la petite nef terminée par un autel surmonté d'un tableau figurant la Vierge distribuant des chapelets ; la donatrice du tableau est peinte à genoux ; elle a l'air d'une vénérable matrone bien portante. C'est là qu'une femme, l'air paysan, l'air onctueux, qui déjà à l'entrée nous avait demandé si nous venions en pèlerinage, vint nous proposer de baiser l'image de la Vierge; nous lui fîmes comprendre avec peine que l'amour de l'art nous égarait seul en ce lieu.
Nous pénétrons dans une chapelle donnant sur l'autre sortie latérale; on y voit un bénitier pédiculé élégant; une vilaine Sainte Barbe, une armoire Louis XV renfermant le trésor de l'église, qui ne paraît nullement précieux.
Le fond de cette chapelle est occupé par une abside excessivement curieuse. A l'entrée sont deux colonnes dans la muraille : le chapiteau de droite représente un forgeron au travail, une châtelaine et une servante ; celui de gauche nous montre une cène (non pas la dernière). D'un côté de la table sont des femmes dont l'une porte un poupon ; en face sont des enfants à genoux, faisant de burlesques contorsions ; une femme apporte des mets. Les nervures se terminent par des culs de lampe ornés de figures. Le bas des parois est occupé par des arcades ogivales pleines, surmontées d'un cordon ; dans les écoinçons ainsi formés se trouvent une série de figures bizarres : la plupart jouent d'un instrument de musique, trompette, olifant, musette, guitare, harpe, etc. D'autres portent des banderolles sur lesquelles on ne remarque aucune inscription ; on voit des évêques, des moines ; l'un entre autres à la figure énorme, tire sur ses joues et ouvre une bouche de Gargantua ; deux figurines représentent des porteurs d'arbalète. Ces sculptures, très naïves, paraissent bien exécutées.
Nous sortons par la porte principale ; il y a deux façades contiguës qui viennent d'être restaurées ; l'une plus grande, en pierre ; l'autre est en briques ; cette brillante anomalie provient de cet entassement de nefs et de chapelles, que !e grand nombre de toits rend encore plus sensible.
La tour qui fait un si bel effet quand on la voit en chemin de ter, paraît triste dans sa vétusté lorsqu'on se trouve au pied ; c'est une grosse tour carrée, non achevée ; de près elle est écrasante.
Ce qui nous frappe extérieurement, ce sont des ancres placées aux angles d'une des parties de l'église.
Nous abandonnons enfin ce vieux monument et nous nous rendons à l'église des Jésuites. A peine y étions-nous que nous remarquons sa parfaite nullité. Nous venions y voir le tombeau de G. de Croy. Je me souviens alors qu'il se trouve à l'Église des Capucins et nous nous arrachons bien vite à ce milieu qui nous étreint le cœur.
Le Couvent des Capucins a été fondé en 1616 par Charles d'Aremberg, duc d'Aerschot, ainsi que nous l'apprend une inscription latine répétée au-dessus de l'entrée et sur la muraille, 50 m. avant l'entrée.
Beaucoup de simplicité ; des fleurs dans la cour ; un calvaire ; dans l'église, le Maître autel avec incrustations en ivoire ; c'est là son seul mérite. Tout dans cette petite église est de la Renaissance, mais sauf le tombeau de G. de Croy, rien n'y est artistique.
Dans une chapelle en berceau dont les parois sont couvertes des portraits des princes de Croy et de leurs femmes, derrière un autel en bois, se trouve le tombeau tout en marbre blanc et en albâtre, mais laissé dans le plus triste abandon, couvert d'une poussière qui le souille outrageusement.
Guillaume de Croy, Archevêque de Tolède, mort à Worms en 1521, y fut enseveli. Le tombeau exécuté vers 1600 se trouvait aux Célestins à Héverlé, lorsqu'il fut rapporté à Enghien en 1843. Le tombeau proprement dit a disparu et est remplacé par une grisaille où l'on voit le défunt couché sur la pierre dans ses habits sacerdotaux. Il y aurait beaucoup à redire sur les proportions de ce monument ; mais ce qu'il faut admirer sans réserve, c'est le fini du travail, l'habileté de l'exécution, notamment le retable sculpté, les figures des stylobates qui représentent Adam et Eve1 les rinceaux et les feuillages des colonnes, les figures sculptées sur les chasubles des pères de l'Église ; enfin c'est de la dentelle en marbre.
Nous aurions voulu visiter l'Église des Clarisses ; mais comme nous en approchions, une sœur en sortait et notre vue l'effraya tellement qu'elle rentra précipitamment ; quant à nous, bons princes, pour ne pas effaroucher ces saintes femmes, nous avons préféré nous abstenir.
Nous entrons dans la rue du Béguinage et voyons un certain nombre de ces petites maisons qui abritaient et abritent peut-être encore les amoureuses de solitude et de tranquillité.
Il était temps d'aller voir le parc d'Aremberg, bien abandonné et bien sauvage. Il s'y trouve de magnifiques serres, mais vides. Nous allons voir l'ancien puits dont la margelle en pierre est surmontée d'un ouvrage en fer forgé ; la chapelle de l'ancien manoir, grosse tour carrée, entièrement tapissée de lierre, est d'un effet très poétique.
Il nous reste à voir un petit édifice de la Renaissance ; on y arrive par sept grandes avenues alternant avec 7 moindres allées d'arbres où l'on voit un vase sur piédestal ; le monument, au milieu d'une pièce d'eau octogone entourée de charmilles, se compose de huit arcades reposant chacune sur deux arcs ; le toit est une plateforme.
II nous semble qu'on a surfait la beauté de cette construction. Enfin nous délaissons le parc et ses arbres jaunissants, sa pièce d'eau sillonnée par une demi-douzaine de cygnes et que recouvrent déjà les feuilles mortes, glas funèbre de l'été; nous quittons les allées où volent à la dérobée les merles et les geais.
Jules DEWERT.
Extrait de Voix Wallonnes - Revue mensuelle illustrée - Janvier 1937 - 4e Année - N° 1 - pp. 19-22.
Jules Dewert, né en 1862, fut professeur honoraire de l'enseignement moyen et archiviste honoraire de la ville d'Ath. Excellent érudit et archéologue, il publia, sur le Hainaut, et plus particulièrement sur la ville et le pays d'Ath, une série d'études d'un vif intérêt, parmi lesquelles l'Epigraphie du Hainaut (depuis 1910), Les Moulins du Hainaut (depuis 1930) et une Histoire de la ville d'Ath (1903). Il publia plusieurs études dans la Revue belge de philologie et d'histoire ; il collabora également à divers périodiques historiques, archéologiques et folkloriques de Wallonie et de Bruxelles. Il procéda au classement des archives de la ville d'Ath. Il décéda le 25 février 1939.
Léon Fourdin fut architecte de la ville d'Ath (1886-1934). Il restaura la Tour Burbant et l'église Saint-Martin. Il fut aussi un des fondateurs du Cercle royal d'histoire et d'archéologie d'Ath. En 1919, il conçut la salle de spectacles « Le Palace », sur la Grand Place d'Ath. Sa façade, élément emblématique du lieu, affirme la présence de l’Art nouveau au coeur de la ville. Le béton et le métal, le décor avec ses lignes courbes et ses entrelacs, sont caractéristiques. La salle a connu pendant des décennies toutes les festivités qui ont fait vibrer la vie locale. Le bâtiment abrite actuellement la Maison culturelle d'Ath.