A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
SYNOPSIS
Cinquante ans après la mort d'Irène Némirovsky sa fille trouve le courage de lire son journal et y découvre une histoire incroyable...
1940, en France occupée par l'Allemagne.
Après la défaite de mai-juin 1940, la sublime Lucille Angellier attend des nouvelles de son mari, Gaston, retenu prisonnier en Allemagne. Elle mène son existence sous l’œil inquisiteur de sa belle-mère dans la plus belle maison bourgeoise d'une bourgade du centre de la France. Mais bientôt arrive une garnison de soldats allemands qui s'installe chez l'habitant. Le jeune commandant Bruno von Falk, homme de culture et musicien, est logé chez les Angellier. Petit à petit, Lucille se trouve attirée vers Bruno mais essaye d'abord de l'ignorer. Ils succomberont à l'amour au bout de quelques semaines, ce qui va les mener vers les tragédies de la guerre...
LE FILM
Suite française est un film franco-britannique-belge, sorti en 2015, coécrit et réalisé par Saul Dibb, et adapté du roman d'Irène Némirovsky.
LE REALISATEUR : SAUL DIBB
Saul Dibb est un réalisateur et scénariste britannique né à Londres en 1968.
Il réalise son premier long métrage en 2004 avec Bullet Boy, un portrait incisif de la violence dans les milieux défavorisés en Grande-Bretagne. Le film est interprété par Ashley Walters, qui a obtenu le British Independent Film Award de la meilleure révélation de l’année.
LES ACTEURS
La star de Bullhead et De rouille et d'os, l'acteur belge Matthias Schoenaerts (Bruno von Falk), rejoint le casting de Suite Française. A ses côtés nous retrouvons Michelle Williams (Lucile Angellier) (Brokeback Mountain, Blue Valentine, My Week with Marilyn) et Kristin Scott Thomas (Madame Angellier) (Dans la maison, Only God Forgives).
Les autres acteurs : Sam Riley (Benoît Labarie), Ruth Wilson (Madeleine Labarie), Heino Ferch (Le Commandant), Tom Schilling (Kurt Bonnet), Harriet Walter (La vicomtesse de Montmort), Alexandra Maria Lara (Leah), Clare Holman (Marthe), Margot Robbie (Céline Joseph) et Lambert Wilson (Le vicomte de Montmort).
Retrouvez le casting détaillé sur Première.fr
IRENE NEMIROVSKY
Irène Némirovsky naît à Kiev le 11 février 1903 dans une famille juive aisée. Sa mère se montre vite distante et assume mal une maternité qu’elle perçoit comme une contrainte, mais Irène est choyée par sa gouvernante française. Le français, que la romancière emploie dès son plus jeune âge, occupe donc une place importante dans son coeur. De plus, la famille fait plusieurs voyages réguliers en France pour suivre la mode et soigner l’asthme d’Irène.
Les Némirovsky, qui appartiennent à un milieu social privilégié en Ukraine, ne sont pas directement affectés par les discriminations dont sont victimes les Juifs. Mais la situation politique de l’Empire russe est instable et la crainte des pogroms bien présente. En 1918, suite à la Révolution russe, Leonid veut mettre sa famille à l’abri. Les Némirovsky prennent alors le chemin de l’exil et arrivent en France en 1919. Une fois installée à Paris, la jeune femme reprend ses études et passe son baccalauréat puis s’inscrit en licence de lettres. L’auteure mène une vie mondaine assez remplie. Elle rencontre Michel Epstein, un homme d’origine russe. Elle tombe immédiatement sous son charme et le couple se marie le 31 juillet 1926. Ensemble, ils ont deux filles, Denise et Élisabeth.
La carrière littéraire d’Irène Némirovsky débute vraiment avec David Golder. En 1929, cette épopée fracassante d’un homme d’affaires est un succès, et les articles élogieux se succèdent dans la presse. Au cours des années 1930, Irène Némirovsky publie plusieurs romans (Les Mouches d’automne, L’Affaire Courilof), ainsi que de nombreuses nouvelles.
En 1938, Michel et Irène demandent la nationalité française. Toutefois, leur requête reste sans suite. En juin 1940, devant l’avance allemande, le couple fuit Paris et s’installe à Issy-l’Évêque, un bourg du Morvan, où les filles se trouvent chez la mère de leur nourrice depuis septembre 1939. Considérés comme des Juifs apatrides, leur vie de famille devient de plus en plus difficile, mais Irène Némirovsky continue d’écrire afin de subvenir aux besoins de sa famille. Puis la « liste Otto », éditée par les nazis, fait l’inventaire des auteurs interdits de publication, parmi lesquels figurent tous les auteurs juifs, même si le nom d’Irène Némirovsky n’est d’abord pas mentionné.
Alors que, dès mai 1941, des Juifs sont envoyés dans des camps de détention sur le sol français, la crainte de l’arrestation se précise. Irène Némirovsky cherche alors une personne de confiance. Elle s’adresse à Julie Dumot, qui avait travaillé pour son père, pour lui confier ses filles, Denise et Élisabeth, si malheur arrivait.
Le 13 juillet 1942, Irène Némirovsky est arrêtée à son domicile, puis transférée au camp de transit de Pithiviers. L’auteure part dans un convoi pour Auschwitz le 17 juillet. Elle arrive dans le camp de concentration deux jours plus tard. Elle y meurt du typhus le 19 août 1942. Le 9 octobre 1942, Michel Epstein est arrêté à son tour. Il est emmené au camp de Drancy, puis transféré à Auschwitz, où il est gazé.
ADAPTATION DU ROMAN
Le travail d’adaptation de Suite française d’Irène Némirovsky débute tout d’abord par un choix, celui de porter à l’écran la partie intitulée « Dolce ». La première section, « Tempête en juin », n’apparaît que brièvement dans le film. L’accent sera donc mis sur la vision d’un village français sous l’Occupation, et plus particulièrement sur une famille, les Angellier. Le spectateur retrouve ainsi l’ambiance morne de la maison des Angellier décrite dans le récit. Le réalisateur s’appuie fidèlement sur les événements et les personnages créés par l’auteure. La passion naissante entre Lucile Angellier et Bruno von Falk, un soldat allemand, devient le point d’ancrage de l’intrigue. C’est autour de ce duo que se développe la trame du film. Le réalisateur conserve donc les principaux événements présents dans le récit d’Irène Némirovsky. Certains passages comme l’emprisonnement puis l’exécution du vicomte, maire du village, sont en revanche des transpositions de faits évoqués dans le roman mais dans d’autres circonstances. Le principal parti pris du réalisateur demeure la fin du film. Saul Dibb poursuit en quelque sorte le projet de l’auteure, d’ailleurs esquissé dans ses brouillons, en imaginant le début de la fuite de Lucile et Benoît vers Paris. L’ajout de cet épisode permet de souligner l’aventure de ce récit inachevé et de rappeler le travail de construction de l’intrigue effectué par Irène Némirovsky.
D’un point de vue historique, le film Suite française débute sur des images caractéristiques de la débâcle française en juin1940 avec l’exode massif de civils subissant les bombardements en piqué des stukas allemands. Cette ouverture inscrit d’emblée la fiction dans un contexte historique dramatique, celui de la bataille de France qui en l’espace de moins deux mois s’est soldée par la défaite française et se poursuit par l’Occupation. Cette dernière est le cadre temporel du film et le village de Bussy, à une époque où la France est encore très rurale, correspond à son illustration spatiale archétypale. Le village occupé est marqué par la présence de la Wehrmacht qui exerce la réalité du pouvoir et marginalise celui du maire. La politique générale de collaboration des autorités françaises est symbolisée par le collage d’affiches à la gloire de Pétain et du régime de Vichy. Dans ce contexte, les relations sociales dans le village se déclinent sous différentes formes, de la collaboration à la Résistance pour une minorité.
VISION D'UN VILLAGE FRANCAIS SOUS L'OCCUPATION
L’adaptation cinématographique du roman d’Irène Némirovsky offre un regard sur la vie de la population française pendant l’Occupation. Le spectateur découvre le village de Bussy et ses habitants. On note d’emblée que les personnages représentés apparaissent rapidement dans leur rôle social. Mme Angellier et sa belle-fille habitent dans le bourg. Elles occupent une maison bourgeoise. A l’opposé, nous avons les métayers qui doivent payer leur dû aux propriétaires terriens. On remarque d’ailleurs que le film offre au spectateur la vision d’un village français typique : la population se rend à l’église le dimanche, le maire est un notable et le décor choisi correspond à l’image de la ruralité à cette époque. Quant aux aristocrates, ils possèdent le château de Montmort. En outre, le vicomte s’avère être le maire de la ville. On ressent rapidement les tensions qui existent entre les bourgeois, les nobles et les métayers. Lorsqu’il doit rendre son fusil, Benoît Labarie croise la vicomtesse et lui adresse des reproches. Au-delà de la vision de la guerre, le réalisateur recrée ainsi la réalité de la société française du milieu du XXe siècle. Par ailleurs, l’arrivée de l’armée allemande est un bouleversement pour le village. Les murs font apparaître des affiches contre les Juifs. Un règlement est instauré. L’Occupation devient une dure réalité. Mais le spectateur est rapidement surpris par la vision des événements. On constate en effet que le quotidien prend le dessus et que les tensions du conflit s’éloignent peu à peu des esprits. Les soldats ennemis se réjouissent de cette parenthèse après les horreurs des combats. Ils occupent à leur aise la place principale du village et se délassent sous les regards amusés de jeunes Françaises. Le film parvient à révéler toute la complexité de la vie sous l’Occupation. Lucile semble choquée lorsqu’elle aperçoit une femme française dans les bras d’un soldat allemand alors qu’elle-même finira par succomber aux charmes de Bruno, les soldats allemands se veulent respectueux avec les familles chez qui ils logent, mais ils dévastent la maison des Perrin. Mme Angellier défend un patriotisme sans faille mais déplace ses métayers pour louer à un prix plus élevé l’une de ses dépendances à une femme partie lors de l’exode. De même, l’épisode des nombreuses lettres de dénonciation envoyées à la Kommandantur rappelle les bassesses dont tout être humain semble capable.
La vision de l’Occupation proposée par le film illustre ainsi une large palette des attitudes et des comportements des Français durant les « années noires » selon l’expression employée par Jean Guéhenno. La victoire militaire fulgurante des Allemands lors de la bataille de France en mai-juin 1940 se traduit tout d’abord très concrètement pour les habitants de Bussy par la traversée du village par les chars allemands (panzers), illustrant une composante matérielle importante de la Blitzkrieg. L’installation durable de la Wehrmacht est ensuite illustrée par la mise en place de la Kommandantur dans le village à laquelle Bruno von Falk appartient. Celle-ci met Bussy sous sa coupe et le maire apparaît comme un intermédiaire dépossédé de son pouvoir antérieur, l’édile offrant ainsi l’image symbolique de la chute de la Troisième République remplacée par le régime de collaboration de Vichy avec le Troisième Reich. La violence intrinsèque du régime nazi est incarnée par le personnage de Bonnet, avide d’aventures et de conquêtes ou encore par l’exécution du maire du village fusillé en raison de son échec à retrouver et à livrer Benoît Labarie aux autorités allemandes locales. De même, lorsque Madeleine apparaît à l’écran le visage tuméfié, le spectateur comprend qu’elle a été torturée par les soldats allemands afin d’indiquer le lieu où se cache son mari. Quant à la dimension idéologique de l’entreprise nazie, elle apparaît de façon implicite, lorsqu’une scène montre Mme Angellier cachant une enfant juive suite à l’arrestation de sa mère, afin de la protéger des exactions antisémites des Allemands. En ce qui concerne la collaboration avec l’occupant, elle est illustrée par le couple de Montmort. En effet, la vicomtesse pousse son mari à dénoncer les agissements de l’un de leurs métayers, Benoît Labarie, afin qu’il soit puni. Ce dernier incarne au contraire une Résistance active. Ainsi le fermier n’hésite pas à désobéir au règlement imposé par l’armée allemande en conservant une arme cachée dans la grange. Lorsqu’il tue Bonnet, il agit à la fois par jalousie, mais aussi par volonté de supprimer un ennemi, et ce au péril de sa vie. Caché par les Angellier, il quitte Bussy à la fin du film pour rejoindre les réseaux parisiens de la Résistance au sein desquels il détient des contacts.
Le film Suite française parvient donc à montrer le visage de la France sous l’Occupation tout en évitant l’écueil d’un manichéisme caricatural. Il nous rappelle que les hommes et les femmes qui ont vécu cette guerre étaient avant tout des êtres humains avec leur force et leur faiblesse. Le respect du cadre historique n’empêche pas le réalisateur de susciter une réflexion sur les divers comportements des hommes dans des situations extrêmes. L’horreur de la guerre n’est pas masquée, loin de là, mais les relations qui se nouent entre la population française et les soldats allemands sont aussi une preuve que le quotidien l’emporte sur la haine sans limite dans laquelle deux peuples sont emportés par le conflit. Une attirance irrépressible naît ainsi entre Lucile et Bruno malgré leur statut d’ennemis. Cela permet de rappeler que ces deux êtres sont prisonniers d’enjeux les dépassant totalement.
Sources :
UGC Distribution
Cinefil
Wikipedia