A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
au Vieux Béguinage d'Enghien (1850-1921)
Par Pierre de Lattre, S.J.
Au temps jadis, Enghien, comme Gand, Bruges et d'autres villes de Flandre, possédait un vrai Béguinage, un des plus anciens même de la région puisque mention en est déjà faite en 1255. Point n'est besoin, en Belgique, de préciser ce qu'on entend par Béguinage. A celui d'Enghien, Ernest Matthieu a consacré une douzaine de pages en son Histoire de cette ville, et (...) le Cercle archéologique a reproduit dans son Bulletin, d'après une très ancienne copie, le règlement intérieur de cette Maison.
En 1795, lorsque les armées françaises occupèrent la Belgique, elles y imposèrent la législation révolutionnaire qui supprimait toutes les Congrégations religieuses. Le domaine du Béguinage tel qu'il est encore circonscrit par le boulevard Cardinal Mercier, la rue du Béguinage et le sentier qui les joint, fut déclaré « communal », ses biens et son administration remis à l'Assistance publique, les Béguines admises à continuer d'y résider, à titre personnel. On ne toléra cependant pas que des éléments nouveaux prissent la place de celles qui mouraient; en 1818, le bâtiment principal était même transformé en hospice pour vieillards; en 1839, la dernière supérieure mourait âgée de 89 ans et en 1845 c'était le tour de la dernière survivante.
Il y avait beau temps à cette date que l'Administration des Hospices estimait bien onéreux le legs que lui avait fait en 1795 le gouvernement français. Les dépenses relatives à l'enclos du Béguinage dépassaient notablement les revenus des biens laissés, et des réparations considérables s'imposaient si on voulait conserver ces constructions délabrées. On s'y montrait donc assez enclin à s'en défaire, quand, dans les derniers mois de 1846, la duchesse d'Arenberg, née princesse Ludmille Lobkovitz, désireuse de doter la ville d'Enghien d'une école de filles qu'elle ne possédait pas encore, s'offrit à en faire l'acquisition. Le 13 avril 1847, un contrat était passé en l'étude du notaire Bruneau: l'Assistance publique cédait le Béguinage à la Duchesse pour la somme de 50.000 francs. A l'exception des maisons adossées à l'actuel boulevard Cardinal Mercier, le Béguinage ne comporte alors ni l'école à front de rue, ni les habitations le long du sentier.
Mais on ne trouvait pas facilement à cette époque les religieuses nécessaires à la direction de ces écoles. La Révolution avait fait table rase de toutes les institutions religieuses cdu passé et, dès 1814, le roi Guillaume avait enjoint à tous ses agents en Belgique, d'y maintenir la législation religieuse édictée par l'Empire. Encore y fut-elle désormais plus jalousement surveillée qu'en France où l'Eglise, sous les Bourbons restaurés, reprenait peu à peu sa liberté. En 1830, une révolution avait bien rendu aux Belges l'indépendance, mais, si des Congrégations pouvaient maintenant se fonder, le temps était indispensable au recrutement et à la bonne formation de leurs membres. Or, de toutes parts, on réclamait avec insistance l'ouverture d'écoles paroissiales.
A vrai dire, depuis longtemps, des prêtres zélés recherchaient des jeunes filles dévouées, aptes à tenir des écoles dans les paroisses dont ils avaient la charge. Un des premiers avait été l'abbé François-Joseph Delfosse († 1848), né à Gouy-lez-Piéton le 29 octobre 1769, prêtre missionnaire pendant la grande Révolution. Dans les dernières années du XVIIIe siècle, il avait gagné à ses projets demoiselle Albertine-Ghislaine de Hennault, née à Braine-l'Alleud le 22 mars 1772. Avec elle et deux autres anciennes religieuses, également expulsées de leur couvent, il avait ouvert, en 1800, à Jodoigne, une première école; lentement d'autres allaient venir se joindre au petit noyau. En 1801, on essaya, sous le couvert de la liberté laissée, en principe, aux citoyens de vivre en commun, d'avoir à Tirlemont une sorte de Maison-mère. Mais il ne pouvait y être question ni de communauté au sens propre, ni de règle ni de costume religieux, ni surtout, cela va de soi, d'engagements sous forme de vœux. La simple cohabitation de jeunes filles attachées toutes au même travail suffisait déjà à inquiéter les susceptibilités gouvernementales. Ce ne sera donc que très tard, guère avant 1830 semble-t-il, que l'abbé Delfosse, qui cependant en nourrit bien la pensée, communiquera aux « Associées » son intention de commencer une véritable Congrégation religieuse, il ajoutera du reste que celles qui n'aimaient pas s'engager, pouvaient en toute sécurité de conscience, reprendre leur liberté. Toutefois, directeur très attentif au progrès spirituel de ses filles, l'abbé se montrait très exigeant sous le rapport de la cordialité, de la politesse, de la simplicité, mettant au premier rang des vertus de l'Association, la charité mutuelle et la bonne intelligence entre les consœurs. Pour le public, qui ne s'étonnait pas autrement des activités spirituelles de ces institutrices d'ailieurs peu nombreuses, elles restaient « les Filles retirées », « les Filles de bonne volonté », les « Filles de l'Union ». En 1810, l'abbé Delfosse accepta d'ouvrir à Nivelles une troisième maison; en 1816, ce sera le tour d'une quatrième à Hal; en 1820, une occasion s'offrit d'acquérir, près de Tirlemont, à Hougaerde, une propriété qui deviendra le centre de l'Union.
Quand, pour les Associées comme pour le Royaume, se leva le soleil de la liberté, l'abbé Delfosse entreprit de soumettre aux autorités ecclésiastiques la Règle et les Statuts qui permettraient à ses Filles de se déclarer ouvertement Congrégation religieuse. Le but poursuivi par l'Institut était d'abord, évidemment, la sanctification de ses membres par l'observance des trois vœux de religion et des constitutions, condition de bénédiction et de succès pour toutes les œuvres; sa fin secondaire: l'éducation et l'instruction chrétienne des jeunes filles, pauvres ou riches. On acceptait des pensionnats, des externats, des catéchismes paroissiaux; plus tard, on y ajoutera « des écoles de tous degrés: gardiennes, primaires, moyennes et normales » ; même des missions. Le 13 septembre 1835, Mgr. Sterckx, nouvel archevêque de Malines, signait les Statuts de la Congrégation, et le surlendemain mardi 15 septembre, il était accueilli au « Mariadal » à Hougaerde(1) par M. Delfosse et toute la Communauté pour y recevoir, dans son église, la profession des dix-sept Sœurs que comprend alors la Congrégation.
(1) Ancien château d'Overlaer qui avait été occupé depuis le milieu du XVe siècle par des Pères Bogards (Paters Bogaarden).
Avec le costume religieux -dont une vieille tradition dit que le modèle venait de France -elles prenaient le nom de « Sœurs d'Union », puis de « Sœurs de l'Union chrétienne » et bientôt de « Sœurs de l'Union au Sacré-Cœur ». C'est de cet Institut qu'en 1849, les circonstances offrirent à la duchesse d'Arenberg l'occasion d'obtenir les éducatrices désirées pour ses écoles.
En cette même année, le développement pris à Hal par l'école ouverte en 1816, amenait en effet cette Maison à procéder à une acquisition importante; mais il y faudrait bâtir, or l'argent manquait. On pensa s'adresser à la duchesse d'Arenberg réputée pour sa bienfaisance, et c'est d'un prêt, mais assez considérable, qu'on parla. Sans difficulté, la Princesse y consentit mais posa pour condition l'établissement à Enghien d'une Maison de la Congrégation et qu'on y enseignerait aux jeunes filles l'art de la dentelle. Elle livrerait aux religieuses, par bail emphytéotique, l'ancien Béguinage au loyer de 100 francs par an. Devant l'aide apportée par la duchesse d'Arenberg aux œuvres de la Congrégation, la Révérende Mère Rosalie ne pouvait qu'accéder à ses désirs, et le 26 décembre 1850, elle conduisait elle-même à Enghien les trois Sœurs choisies: Sœur Fanny (Mlle F. Bonvalet) qui sera supérieure, Sœur Marie Berckmans, et une converse, Sœur Bernardine. Ce devait être une des dernières, sinon la dernière création d'école à laquelle allait assister la fondatrice de la Congrégation. Le 17 avril 1848, l'abbé Delfosse mourait à Hougaerde; peu de jours après son enterrement, le 5 mai, Mlle Albertine-Ghislaine de Hennault -en religion Sœur Julienne de Cornillon- obtenait de Mgr Sterckx la faculté sollicitée de déposer sa charge de supérieure; le 17 juillet 1852, elle-même irait recevoir de Dieu sa récompense. A l'arrivée des Sœurs, telle fut la joie dans Enghien que toutes les cloches de la ville s'unirent pour les saluer. En attendant que l'ancien Béguinage fut rendu disponible, la Duchesse offrit la jouissance au bas de la rue des Capucins d'une de ses propriétés: une maison convenablement meublée. Ce fut pourtant dans la pauvreté qu'allait monter et grandir la nouvelle école. Vu les ressources fort restreintes de la Congrégation, Mère Rosalie n'avait pu remettre aux Sœurs que 300 francs pour leur installation et ce fut longtemps avec peine que les Sœurs pourvurent à leur subsistance. On débuta par un externat; en octobre 1851 on accepta des pensionnaires. Cette même année, Sœur Madeleine (Marie-Elisabeth Vanden Schrick) remplaçait Sœur Fanny dans la charge de supérieure. C'est sous son gouvernement que les Sœurs allèrent s'établir au Béguinage et, le 15 septembre 1853, par devant le notaire Choppinet à Enghien, un bail emphytéotique cédait aux Sœurs d'Hougaerde pour 99 ans à compter du 1er octobre 1853 cette propriété au loyer dérisoire de 100 francs par an. Le 9 octobre 1857, Sœur Madeleine meurt à Enghien et est rempiacée à la tête de la Maison par Sœur Marie-Berckmans (Caroline Van Looy).
Des années s'écoulent alors durant lesquelles, les Sœurs, par leur dévouement et leur application à instruire et éduquer leurs jeunes disciples, s'acquirent avec l'estime de la population, les relations qui devaient leur permettre d'améliorer les conditions du travail. Le nombre des élèves monta peu à peu, et il finira par atteindre un jour 175. Mais déjà en 1865, le vieux Béguinage (...) est un cadre bien resserré pour une communauté de huit à dix religieuses, de pensionnaires et d'externes. En 1866, Sœur Caroline (Charlotte Poncelet) vint prendre la direction de la maison mais elle n'y fit que passer et revint mourir à la maison-mère de Hougaerde.
Mais heureusement la Providence est là, et, en 1867, elle leur envoie, dans la personne de Sœur Thérèse de Jésus, la Supérieure aux vues larges, aux initiatives courageuses, qui va faire subir à tout l'ensemble d'intéressantes transformations (1867-1879). C'est d'abord, en équerre avec le Béguinage un vaste bâtiment pour l'usage des pensionnaires et des externes. Au rez-de-chaussée, seront les classes; aux étages, des dortoirs pour les pensionnaires. Les jardins, naguère fort peu riants, subissent une complète transformation. Sans négliger l'utile potager et verger -on sût les rendre agréables. Au fond d'un berceau qui constitue une agréable promenade, la Supérieure, âme pacifiante et de prière, fait ériger une grotte de Notre-Dame de Lourdes où l'on verra souvent les Sœurs. Elle est d'ailleurs très secondée par Soeur Marie-Borgia, première maîtresse, sur qui elle se décharge volontiers des parloirs. Sous ce gouvernement éclairé, la communauté vivait en paix et toute à son travail, lorsque la mort de la Supérieure de la Maison de Hal obligea la Révérende Mère Générale d'appeler Sœur Thérèse au gouvernement de cet important établissement. Après douze ans de dévouement au « cher Béguinage », le 16 décembre 1879, elle quitta Enghien, laissant sa communauté aux mains de celle qui, depuis des années, était déjà son bras droit.
Vue extérieure de la chapelle de l'ancien Béguinage d'Enghien
Sœur Marie-Borgia ne bâtit point, ne fit aucune œuvre extérieure, mais, éducatrice de premier ordre, régna sur les cœurs et les volontés. Elle sut se concilier toutes les sympathies: celle de ses Sœurs, celle des élèves et celle des personnes du dehors. Messieurs les Principaux du Collège d'Enghien: M. Deblander, M. Wauthier, M. Hauris, la secondèrent toujours dans la formation de ses élèves. Inspirée par M. Wauthier, la Supérieure établit un cours de coupe au pensionnat afin de rendre plus complète la formation des grandes élèves.
Sœur Marie-Borgia avait la piété onctueuse. Elle aimait les belles cérémonies de l'Eglise et s'employa toujours avec grand zèle à l'ornementation des autels. Elle sut créer un courant très sympathique entre la bourgeoisie d'Enghien et l'humble « Béguinage ». Ses anciennes élèves lui demeurèrent toujours très attachées. Malheureusement sa santé habituellement chancelante devint tout-à-coup très mauvaise et inspira de vives inquiétudes. Après quatorze années de supériorat, on dût la rappeler à Hougaercle le 1er septembre 1893. Le 2 septembre, Sœur Emma (E. Vogelsang) venait la remplacer à Enghien dans sa charge de Supérieure.
Sœur Emma, quoique très instruite, ne s'était jamais occupée d'enseignement comme sa devancière, mais ses rares aptitudes économiques trouvèrent un vaste champ pour s'exercer. Cœur d'or, elle chercha tout de suite à améliorer la situation matérielle de sa communauté. Pleine d'affabilité, elle sut conserver le courant sympathique créé par sa devancière. La maison d'Enghien, si chère à toutes celles qui l'ont habitée, à cause de son esprit de famille, avait l'air vieillot, peu en rapport avec les exigences modernes. Dès 1894, la Supérieure opéra une transformation complète des jardins. Elle relégua le potager hors de vue, fit disparaître une partie des berceaux, agrandir les chemins, et tracer, à l'entrée, un délicieux jardin anglais qui, à première vue, charmait les visiteurs. En 1897-98, elle faisait construire à front de rue un beau bâtiment dont l'étage reçut les classes de l'externat payant et le rez-de-chaussée une école ménagère. Dès le mois d'octobre 1899, celle-ci, agréée par l'Etat, pouvait fonctionner régulièrement. En 1900, on prolongeait le grand bâtiment habité par la communauté. Mais peu à peu la Supérieure ressentait davantage Je poids de l'âge et des fatigues, A plusieurs reprises, elle avait sollicité d'être relevée de sa charge et le 7 septembre 1902, une Enghiennoise, Sœur Julienne (Marie-Adèle Scoman), qui avait été très jeune orpheline, élève dans cette maison où elle devaitpasser trente ans de sa vie, était appelée à lui succéder. Sœur Emma rentra à la Maison-mère qu'elle ne devait plus quitter.
Sœur Julienne fut une Supérieure zélée, délicate, bonne surtout, veillant maternellement sur ses religieuses et sur les élèves. Elle continua l’œuvre de transformation de l'Institut commencée par sa devancière. Elle fit construire une galerie menant à la chapelle et transformer les dortoirs et les réfectoires. Très dévouée à l’œuvre de l'enseignement, elle fit couronner les études moyennes de la section du pensionnat par des examens que présidaient des inspecteurs, annexa des cours de commerce à l'école moyenne, envoya chaque année des élèves à Bruxelles y passer, souvent avec grand succès, des examens de piano devant un jury officiel, fit progresser l'école dominicale et l'école ménagère du soir. Spécialement douée pour préparer les enfants à leur Première Communion et à !a Communion Solennelle, Sœur Julienne était une âme très unie à Dieu, d'un grand esprit de renoncement, de sacrifice, d'immolation, dont elle sut donner des preuves magnifiques quand, en 1910, le typhus commença par s'abattre sur la communauté au point de lui enlever successivement plusieurs Sœurs. Quand survint !a guerre de 1914 et avec elle d'innombrables soucis et tracas, Sœur Julienne, d'une charité exemplaire, n'en ouvrit pas moins le Béguinage, en 1917, à bon nombre de Saint-Quentinois évacués par les Allemands sur la région d'Enghien. Elle n'aurait sans doute pas quitté la ville si de nouvelles prescriptions canoniques n'avaient, en 1917, enjoint aux Communautés religieuses de limiter à six ans le temps des supériorats. Large d'esprit aussi bien que de cœur, Sœur Julienne avait su, elle aussi, trouver dans Sœur Laurence une grande religieuse qui l'avait admirablement secondée. Le 11 août 1918, elle partait pour Nivelles. La communauté comptait alors dix-huit religieuses.
Il faut, avant les fâcheux événements qui vont obliger les Sœurs de délaisser le Béguinage, et provoquer bien des transformations, décrire ici la distribution de ce complexe de bâtiments. Dominant la pente, s'alignent, jadis adossées aux remparts, de hautes maisons aux façades blanches: c'est l'ancien Béguinage avec, sur la droite (...) la Maison de la Grande Dame. Etage et rez-de-chaussée, toutes les salles communiquent, car, depuis qu'une « communauté » a pris la place des Béguines, l'ensemble ne forme qu'un seul couvent. L'étage est réservé aux religieuses, le rez-de-chaussée à la cuisine, aux réfectoires des Sœurs et des pensionnaires, à un grand vestibule, à des parloirs, à un vestiaire.
A main droite, pour qui regarde de la rue de la Fontaine, une aile descend en équerre jusqu'à front de rue. A l'étage, se suivent les dortoirs et autres salles affectées aux pensionnaires; au rez-de-chaussée -si on ose ici employer cette expression- une série de salles. Plus proches de la rue du Béguinage, deux classes séparées par un corridor. C'est l'externat payant; puis vient le domaine des pensionnaires, absolument séparées des externes, même pour les classes: une salle de classe d'abord, un corridor et la « grande salle », à la fois, selon les circonstances, salle d'études pour toutes les pensionnaires quelque soit leur âge. salle de jeux, de fêtes, où se donne également le cours supérieur. Au-delà, un escalier conduit à l'étage, puis viennent quelques salles plus petites. Salles, corridor et escalier s'ouvrent tous sur une cour assez étroite fermée par une galerie qui, du couvent des religieuses conduit à la chapelle où l'on entre par derrière l'autel, et dont, à front de rue, un encadrement de pierres armoriées indique encore l'entrée. Chapelle publique, où un professeur du collège vient chaque matin célébrer le Saint Sacrifice, donner la Bénédiction du Saint Sacrement le jeudi et le dimanche et prêcher le dimanche à la messe, car elle est fréquentée par quelques familles du voisinage. Un campanille la couronne où dort une petite cloche. A l'intérieur, ne manquent ni les souvenirs du passé, ni les objets d'art: tous seront dispersés quand, après le départ des Sœurs, un long abandon et le défaut d'entretien rendront dangereuse la fréquentation de la chapelle. Dans l'église paroissiale, deux confessionnaux et des lambris, bien travaillés conservent son souvenir.
Contiguë à cette chapelle, à main gauche s'ouvre, sous un porche dont l'étage est habité, l'entrée de l'enclos. Une inscription la surmonte : « Pensionnat de Demoiselles », et dessous, dans un demi-cercle de pierre: « tenu par les Sœurs de l'Union au Sacré-Cœur ». A front de rue, deux maisons d'habitations. assez vastes puisqu'elles sont éclairées par six grandes fenêtres, s'alignent ensuite presque jusqu'à la nouvelle école. Là se trouvent, au rez-de-chaussée, les deux classes de l'externat gratuit. Elles ont remplacé la salle d'asile, fondée le 17 octobre 1845 par l'Administration des Hospices civils pour cent enfants de la population pauvre et transférée, dès 1848, à la rue des Orphelins.
Nommée au mois d'août 1918 pour remplacer Sœur Julienne, Sœur Marie-Xavier voyait, en arrivant, les locaux de l'externat occupés par des soldats allemands, sa maison soumise à des perquisitions continuelle, et l'occupant pousser ses prétentions jusqu'à la réquisition du pensionnat. La rentrée des élèves eut cependant lieu le 3 septembre. Mais au cours des vacances, on avait dû garder au pensionnat une élève atteinte de la fièvre typhoïde: on n'attendit pas longtemps pour voir quelques autres gagnées par le mal. La prudence imposait de licencier le pensionnat. La charité des Dames de Nazareth ouvrit leur grand salon aux externes, où l'on alla donner des cours ainsi que chez un vieux prêtre retiré. Mais le 15 septembre il fallut céder la salle de jeux à de pauvres évacués sans asile, et le 8 octobre, ce fut la sommation brutale d'évacuer le pensionnat; deux jours plus tard, toutes les Sœurs recevaient l'ordre de vider le Béguinage. Dès le lendemain, Monsieur le Principal du collège venait emporter le Saint Sacrement de la chapelle au Scolasticat des Pères Jésuites; le R. P. Gardien des Capucins, avec un aide, transporta, sur une civière, une Sœur malade depuis plusieurs années; l'exode de la communauté vers !e couvent des Sœurs Clarisses se fit au chant du Magnificat. De la communauté dispersée, deux Sœurs furent admises chez les Sœurs Clarisses pour y veiller et soigner leurs malades; la Supérieure et une compagne occupèrent rue de la Fontaine, deux chambres dans une maison appartenant aux PP. Jésuites; les autres Sœurs rejoignirent les maisons de Hal et de Hougaerde. A grand peine et après bien des pourparlers avec l'autorité allemande, Sœur Supérieure obtint l'autorisation de faire coller sur les portes de la chapelle et du grenier une affiche ordonnant de respecter ces lieux.
Vue intérieure de la chapelle de l'ancien Béguinage d'Enghien
Quatre semaines durant, les quatre Sœurs demeurées à Enghien se prodiguèrent en ville et à l'hôpital près des malades, des vieillards et des orphelines évacuées. Mais enfin, le 11 novembre arriva la nouvelle de l'armistice et l'humble cloche du Béguinage s'unit aussitôt à toutes celles de la ville, église paroissiale, PP. Capucins et PP. Jésuites, Clarisses et Hôpital, pour témoigner de la joie des cœurs. Rentré au Béguinage, on trouva l'établissement dans le plus lamentable état. Deux mois furent nécessaires pour nettoyer, reblanchir, désinfecter, cimenter toutes les citernes qu'on devinait contaminées. Le 8 janvier 1919, les classes pouvaient reprendre bien que les locaux de l'externat gratuit fussent, momentanément, occupés par les Anglais. Tout semblait renaître ... Un raccordement du Béguinage avec le puits artésien que s'étaient créé les Pères Jésuites procurait en abondance une eau pure dans la cuisine et la cour. On caressait des projets de nouvelles constructions ... quand soudain l'horizon s'assombrit à nouveau : les biens des d'Arenberg étaient déclarés sous séquestre; bien qu'on pût montrer le bail de 99 ans, on pouvait se demander ce que cette main-mise gouvernementale allait entraîner pour le Béguinage? On reprit pourtant confiance et sept Sœurs continuaient l'enseignement quand, par suite d'imprudence de la domesticité, qu'on connaîtrait seulement plus tard, le typhus reparut. La veille de Noël 1920 une jeune Sœur, malade depuis la fin d'octobre, mourait. Effrayées à la perspective de voir renaître l'épidémie, les Supérieures majeures décidèrent que, l'eau restant contaminée, la communauté se retirerait du Béguinage. Le ludi de la Pentecôte 1921, la Supérieure, Sœur Marie-Xavier, recevait sa nomination pour la maison de Nivelles; des sept religieuses qu'on avait gardées, quelques-unes seulement restèrent pour procéder au déménagement sous la direction de Sœur Adèle; elles eurent, pour la deuxième fois,la douleur de voir emporter le Saint Sacrement de leur chapelle.
Ce fut une lourde épreuve, pour la Congrégation de l'Union au Sacré-Cœur qui avait occupé le Béguinage durant septante ans, que ce départ d'Enghien; tant de ses religieuses y avaient consacré une partie de leur existence à l'éducation chrétienne et à l'instruction de la jeunesse! De ces enfants, devenues maintenant mères de familles, elles se savaient aimées; plusieurs d'ailleurs s'étaient données à la Congrégation, et de toutes on attendait beaucoup pour le bien des âmes. Mais l'éloignement n'engendre pas l'oubli car même dans les communautés religieuses, le détachement des choses de ce monde ne dessèche pas les cœurs. Aux Sœurs de l'Union au Sacré-Cœur puissent ces pages consacrées à leur séjour en cette ville être un témoignage qu'Enghien leur garde un souvenir reconnaissant.
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AUTRE ARTICLE A LIRE : Julienne Moulinasse et les Sœurs de l'Union au Sacré-Cœur
Brochures et livres parus sur la Congrégation des Sœurs de l'Union au Sacré-Cœur.
1. Het Hof van Overlaer onder Hoegaerde. -F. de RIDDER, 25 pages; « Hagelands Gedenkschriften ». Uitgave 1908, 4e Aflevering, p. 165. (Overlaer est un hameau de Hougaerde).
2. Het Klooster der Bogaarden van Overlaer onder Hoegaerde. 22 pages. -F. de RIDDER. « Hagelands Gedenkschriften ». Uitgave 1909, 2e Aflevering, p. 49.
3. Notice historique sur la Maison des Sœurs de l'Union au Sacré-Cœur, à Hal, par J. Possoz. (Extrait des Mémoires du Cercle Historique et Archéologique de Hal, nr 6, 1929-30) 1931. Edit. J. De Meester et Fils à Wetteren. 22 pages.
4. L'Abbé François-Joseph Delfosse. Fondateur de la Congrégation des Sœurs de l'Union au Sacré-Cœur, 1769-1848, par J. SOILLE, Inspecteur diocésain. Editions J. Duculot, Gembloux, 1948. 176 pages.
5. Sœur Marie-Etienne (Elisabeth Persu), 1894-1939. Maîtresse des Novices, par A. STOCQ, Inspecteur diocésain honoraire. Editions J. Duculot, Gembloux, 1956. 152 pages.
Source : Annales du Cercle Royal Archéologique d'Enghien - Tome XI - 3e et 4e livraisons - p. 345-360.