A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
Il était Lorrain et fier de l’être, né en octobre 1917 à Heckling les Bouzonville entre Sarre et Moselle. Le 3e de sept enfants, il sera aussi le 3e missionnaire, après son ainé Pierre (°19.9.1915), toujours actif à Manille, sa soeur Catherine, carmélite aux Philippines, et son neveu Michel, Assistant du Supérieur régional des Fils de la Charité à Paris.
Sur les conseils du Père Lorson, lors d’une exposition missionnaire à Bouzonville, leurs parents avaient choisi l’école apostolique de Florennes, en Belgique. Jean est alors le condisciple de Jacques Reinbold, d’Aimé Duval, le fameux chanteur des années 70. Reçu au Noviciat en octobre 1936, Jean confie à son maître des novices, Joseph Subtil, son désir de la mission de Chine, où son frère vient de partir à Shien Shien.
A la fin de sa première année de juvénat, il va s’embarquer avec Eugène Lemaire ; Marseille, leurs bagages sont déjà sur le bateau, mais le 2 septembre, la guerre est déclarée. Jean sera élève officier au camp de la Courtine. A l’armistice de juin 40, il sera libéré.
Jean rejoint Vals pour sa philosophie, mais quand la zone sud est occupée en 1943, pour éviter leur conscription dans la Wehrmacht, les Alsaciens-Lorrains doivent partir. Avec Jean Singer, il gagne l’Espagne. Placé en résidence surveillée chez les jésuites de Barcelone, il y achève ses cours de philo et enseigne le français dans un collège.
En juillet 1945, il revient pour sa théologie à Fourvière, puis à Enghien. Il est prêtre en juillet 1948. Après son troisième an, son provincial, Etienne Pillain, connaissant ses projets missionnaires maintenant tournés vers Madagascar, voyant ses qualités de technicien, le nomme à Lille pour un stage à l’ICAM pour le dessin industriel en particulier. Pendant trois ans, il sera ministre de l’école missionnaire de Cormontreuil, en équipe avec le Père Joseph Reinbold, directeur, pour l’agrandissement des locaux et les aménagements intérieurs.
Enfin il peut partir pour Madagascar. Débarquant à Tamatave en septembre 1955, il fait six mois de malgache à Ambositra, complétés dans la paroisse du Père Gonzague Maës à Tsarafidy.
Du Collège Saint François Xavier à Fianarantsoa, il s’appuie sur le Frère Paul Ruyant pour diriger les chantiers. Avec le Père Leroy, il fait les plans du Collège de Mananjary. A l’écoute des Sœurs de Saint Paul de Fribourg, il construit et met en route l’imprimerie Saint Paul. Il agrandit le Collège Saint François Xavier.
En septembre 1957, lors d’une retraite sur la colline de Marana, son supérieur régional, confirme son rôle de constructeur et le nomme conseiller des travaux à Marana où il résidera à partir de 1972 tout en restant économe du collège.
A la mort du Père Chadourne en 1982, il devient l’aumônier des sœurs et des malades. La léproserie avait été fondée en 1892 par le Frère Dursap, développée en 1908 par l’ingéniosité du Père Jean Beyzim, ce polonais austère et généreux qui avait appelé les Sœurs de Cluny en 1911.
A Marana, avec Mère Marie Axel, en 1964, le Père Jean Tritz effectue l’adduction d’eau, et la communauté accueille Raoul Follereau, qui préconise et va financer la construction d’un village de maisons individuelles pour les familles des malades. Les lépreux célibataires préfèrent cependant la convivialité des salles communes. Déjà, le Frère Dursap et les malades valides avaient planté des eucalyptus sur la colline.
Comme les Sœurs, le Père Tritz aime ces bois devenus forêt, il veille aux coupes périodiques pour le bois de cuisine et de construction. A l’initiative de Sœur Castaldo, il installe une scie à grumes. Dans le vallon qui descend derrière les pavillons des malades, il agrandit les jardins potagers, fait élargir la route d’accès qui monte de Fianarantsoa à Marana ; surplombant la belle vallée de Mandranofotsy.
En 1974 s’ouvre le chantier du beau séminaire interdiocésain de Kianjasoa qui recevra le second cycle secondaire. Construit sur trois étages à galeries, il est inauguré par Mgr Gilbert Ramanantoanina à la rentrée de 1975. Dans les églises, dans les chapelles qu’il a bâties, le Père Tritz aimait dessiner les verrières des absides ; à Marana, à Mahamanina, le centre spirituel de Fianarantsoa, il composait des vitraux en dalles de verre serties dans des nervures de béton ; chaque fois il choisissait la gamme des couleurs fondamentales : les jaunes et les rouges, accordés au bleu roi, réjouissent le visiteur ; le soir, leur lumière est plus douce.
Dans le haut du domaine de Marana, il avait placé l’autel de pierre et la belle statue de Notre Dame du Haut Mont. 4000 pèlerins étaient montés, entourant les malades en mai 1987.
En avril 1989, pour la venue du Pape Jean Paul II, sur le modeste aéroport de Fianarantsoa, dans un grand concours de bonnes volontés, avec des troncs d’eucalyptus de Marana, il fait construire un grand podium de 50 m2, à 3m50 au-dessus du sol ; les menuisiers du regretté Frère Gallo dressent l’immense croix.
A l’arrivée du Pape, les Sœurs, les malades, le Père Tritz au premier rang, recevaient de Jean Paul II un chapelet, précieux souvenir. Venues de Toliara, d’Ihosy et Tolagnaro, les délégations de chrétiens se mêlaient nombreuses aux Betsileo du diocèse de Fianarantsoa.
En 1990-1992, sur le grand chantier du séminaire interdiocésain de Vohitsoa le Frère Cicérone est conseillé par le Père Tritz ; mais son projet de chapelle de plan ovale est remis à plus tard.
Après la visite à Madagascar du Père Peter Hans Kolvenbach, Général de la Compagnie en 1992, le Père Tritz organise les fêtes du centenaire de Marana avec les Sœurs de Cluny, une belle exposition de photos et de lettres d’archives à l’étage de la maison centrale montrait l’évolution des bâtiments de l’hôpital et des espaces verts, l’amélioration des soins sur place.
Au centre, bien sûr, les photos du Père Beyzim au visage si grave. Une carte montrait les tournées de dépistage de la lèpre. Depuis juin 1985, le Père Tritz était vice-postulateur de la cause de béatification du Père Beyzim ; le Père Paolo Molinari, postulateur général à Rome, demandait au Père Tritz d’aider son archevêque dans les démarches rogatoires.
A 80 ans, il n’a guère ménagé sa peine, au volant de sa camionnette, sur les chantiers de cet hôpital hansénien, il a montré son dévouement par beaucoup de gestes personnels et de réalisations. Début 1998, il est déjà touché par la maladie, il ne peut plus se concentrer pour lire, il ne répond plus aux lettres, aux colis reçus.
En août il ne s’alimente plus, mais la perfusion le soutient. Les Sœurs comprennent qu’il désire la paix de Dieu. Le 22 septembre à l’aube, entouré par elles et par un frère de sa communauté, il s’éteint paisiblement. Il avait promis à Soeur Marie Dominique de rester avec ses sœurs jusqu’au bout, « offrant ses souffrances pour nous tous ».
Le soir du 22, après la veillée mortuaire à Marana, son corps était exposé à la résidence d’Ambozontany où beaucoup venaient prier. A la sortie de la messe des obsèques, autour du Père Odon, Vicaire Général, le cercueil du Père était salué par les honneurs militaires, à cause des décorations du gouvernement malgache.
Au cimetière de Marana, il était inhumé dans la fosse où le Père Beyzim avait reposé, avant son transfert dans le tombeau en marbre dessiné par le Père Tritz dans l’église.
Ces deux jésuites avaient voulu servir un peuple souffrant, aimé de Dieu, à Madagascar. Sollicitées par nous, trois sœurs de St Joseph de Cluny, responsables successives de Marana, Sœur Marie Axel Bunout, Sœur Gertrude Castaldo et la Supérieure actuelle, Sœur Marie Dominique Rakotozafy ont apporté leur témoignage :
« C’était un homme timide, froid au premier abord, mais bon, attentif quand on faisait le premier pas. De caractère entier, mais sensible, il gardait une capacité d’écoute et de compréhension. C’était le conseiller des prêtres et des religieuses pour les constructions, il a été secourable aux jeunes pour le suivi de leurs études. »
Le Père Tritz avait le goût du beau et du travail fini « il savait former ses ouvriers, maçons et forestiers ». A Marana, il était présent auprès des malades alités, joyeux les jours de fête avec les enfants.
C’était notre aumônier, notre chapelain, le conseiller des catéchistes des parents ; capable d’accueillir les visiteurs notables ou plus modestes. Dans ses billets de remerciements à nos bienfaiteurs, il aimait écrire : « l’univers est petit, le cœur est immense ».
Pour lui, pour eux, les distances ne comptaient plus. Trois mois avant sa mort, il disait à Sœur Gertrude: « j’ai fait tout ce que j’ai pu pour Marana, maintenant je peux partir… ». Il allait partir vers celle qu’il aimait : Notre Dame, les bras de son Fils s’ouvraient pour lui.
Père Jacques Gabin.
Article paru dans la revue "Jésuites en Mission " de Janvier 1999, repris avec l’autorisation du Père Gabin.
Source : http://alain-francois-tritz.pagesperso-orange.fr/LBT/article04.html