A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
Et tout d'abord, qu'est-ce qu'un mail ?
Ce terme, dérivé du latin malleus, désigne une sorte de maillet en bois -généralement en buis- de forme cylindrique, renforcé aux extrémités par un cercle de fer, que l'on manie à l'aide d'un manche quelque peu flexible d'environ un mètre.
On s'en servait dans un jeu d'adresse consistant à frapper violemment une boule en direction d'un but fixé. Le terme a, dès lors, été utilisé pour évoquer le jeu lui même, puis, l'allée où celui-ci se pratique, enfin la promenade qui s'en suivit, lorsqu'il se trouva abandonné.
On jouait au mail de plusieurs manières : tantôt à titre individuel, chacun pour soi (jeu au rouet), tantôt en équipes s'opposant à une ou plusieurs autres (jeu en partie).
Dans les deux cas, le joueur qui se fait dépasser par l'adversaire,"encaisse" une marque, de même à chaque coup ratant le ou les buts à contacter (pierres de touches ; c'était souvent de grosses pierres), et, plus grave, trois marques s'il noie sa boule, c'est-à-dire s'il l'expédie hors du jeu. Le gagnant est celui qui, au dernier but, a pris le moins de marques.
On connaissait aussi le jeu aux grands coups : les joueurs luttent alors à qui projettera sa boule le plus loin. Cette pratique permettait de tenir compte des inégalités de force physique, notamment en concours avec le beau mais faible (?) sexe, en accordant aux moins forts un avantage de distance.
Il y avait enfin le jeu à chicane qui pouvait se pratiquer en tout lieu, la cible à toucher, après certains détours convenus, étant des plus variées : arbre, piquet ou tout autre objet.
Ce divertissement était en grande vogue dans l'aristocratie du XVIIIe siècle.
Marly comptait deux mails. Louis XIV non seulement venait y regarder jouer (1), mais pratiquait ce " sport " avec beaucoup d'adresse : il aimait fort, rapporte Saint-Simon, l'air et les exercices, tant qu'il en put faire. Il avait excellé à la danse, au mail, à la paume. Il était encore admirable à cheval à son âge. Il aimait à voir faire toutes ces choses avec grâce et adresse. S'en bien ou mal acquitter devant lui était mérite ou démérite. Il disait que, de ces choses qui n'étaient point nécessaires, il ne s'en fallait pas mêler, si on ne les faisait pas bien...
Bien dit...
(1) Ce fut notamment le cas en compagnie de Frédéric-Guillaume, électeur de Cologne et de Bavière, père du premier roi de Prusse (1713).
On sait, d'autre part, combien Madame de Sévigné se réjouissait de voir sa fille s'adonner à ce qui faisait partie de ce qu'on appelait alors des " passe-temps " : Je vous remercie, lui écrit-elle, de jouer au mail ; c'est un aimable jeu pour les personnes bien faites et adroites comme vous. Oh ! le beau certificat...
Le mail qu'elle possède dans son manoir des Rochers, est, d'après sa correspondance, d'une beauté surprenante. C'est qu'elle y est allée de maîtresse façon, cette marquise, née Rabutin-Chantal ! Elle a tout simplement fait jeter de grandes arbres à bas, avouant sur le champs que c'était sans considérer les conséquences ni mes intérêts... Mais, bien vite, la pilule est digérée : la voici qui déjà s'extasie devant ce mail planté tout le tour par des allées à quatre rangs, et qui jubile : le jeune plan est délicieux... Alors qu'importe ce qu'a pu faire là... des bucherons la hache criminelle... Quoi qu'il en soit, la marquise adore s'y promener, y demeurant au delà de l'entre chien et loup, quand elle n'y descend pas en bonnet et casaque y admirer au clair de lune les effets les plus plaisants du monde. On l'y voit voltiger, tel un papillon de nuit, dans l'exubérance d'une imagination aux limites infinies. Cette sauvageonne qui ne se cache pas de savoir encore rire aux éclats en présentant ses respects à la lune, n'en compte pas moins déjà... cinquante-cinq printemps... Que tout cela est beau !
Et quel lieu propice aux petites et grandes confidences !
C'est là qu'Elisabeth le Féron lui contera par quelles aventures elle avait épousé l'ambassadeur Charles d'Albert d'Ailly, duc de Chaulnes, ce " soldat suisse habillé en femme, mais doué de toutes les qualités morales ". Dixit Saint-Simon.
Paris avait son mail, quai Saint-Bernard ; Saint-Germain-en-Laye, le sien, tout bordé par des arbres de haute futaie. Celui de Meudon mesurait plus de 750 mètres.
Le mail était également très pratiqué à la Cour d'Espagne. Le parc du palais de Buen-Retiro, à Madrid, aux dires de Saint-Simon, en possédait un beau, large, extrêmement long.
Philippe V, rapporte-t-il, y jouait avec le Grand et le Premier écuyer, le marquis de Santa-Cruz ou quelque autre seigneur et y jouait toujours trois tours complets d'aller et venir, la reine toujours à son côté, et, quand il le fallait, changeait de place pour être toujours à sa gauche. Ce mail était extrêmement agréable par les charmes qu'elle y répandait. Il n'y avait que des seigneurs dans le Mail, et la dame du palais qui la suivait ; tout le reste se tenait des deux côtés sans y entrer...
En bref, c'était là un sport des plus aristocratiques qui, tombé en décadence, si l'on peut dire, au XVIIIe siècle, disparaîtra dans les tourbillons sanglants de la Révolution.
Or, de par la munificence de Philippe-François premier duc d'Arenberg (1625-1674), le parc d'Enghien se trouve doté, au milieu du XVIIe siècle, d'un mail situé en bordure du canal (1). Il comprend trois parties : une grande allée s'achevant par un arc triomphal donnant accès à un bassin avec fontaine, dominé, non loin par une tour.
(1) Fils de Philippe-Charles prince-comte d'Arenberg (1587-1640) et de sa seconde épouse, Isabelle-Claire de Berlaymont, comtesse de Lalaing (1602-1630), Philippe-François naquit à Bruxelles, y baptisé le 30 juillet 1625 et y décédé le 17 décembre 1674. Ne laissant pas d'héritier à son décès, la seigneurie d'Enghien passa à son frère puiné, Charles-Eugène (1633-1681), né du troisième mariage de son père avec Marie-Cléophe comtesse de Hohenzollern-Sigmaringen (1599-1685). Philippe-François avait épousé Marie-Madeleine de Borja y Doria (1627-1700).
G. Upmark, dans sa publication du journal de Nicodème Tessin, fait allusion à l'existence d'un dessin exécuté par l'architecte suédois lors de sa visite à Enghien en 1687, mais n'en a pas donné la reproduction.
L'article que vient d'y consacrer M. Erik de Jong, était déjà imprimé lorsqu'après un nouvel échange de correspondance, nous avons pu l'obtenir par son aimable intermédiaire. Ce nous est ainsi l'occasion d'y revenir et d'entrer dans plus de détails.
L'ALLEE DU MAIL
Elle fut aménagée en 1649.
L'auteur de l'Histoire de la terre, pairie et seigneurie d'Enghien précise qu'elle était très longue, revêtue de pierres de taille et ornée d'une multitude de statues de la plus grande dépense et du plus grand luxe.
Dans sa Briève description de la ville, chasteau et parc d'Enghien, le Père Charles de Bruxelles rapporte que le mail est très beau, de 3.000 pièds de longeur et 40 de largeur avecq ces deux allées à costé ; il est revestu de marbre au lieu que les autres le sont de planches, le temps y donnera une balustrade de marbre de deux costés avecq ces piedestaux qui rendra l’œuvre toutte royale ; au reste, le mail est renfermé d'une haute palisade de charme
Très proche dans le temps -cette description date de 1665-, voici la relation qu'en donne le comte Alexandre Segni lors de son passage à Enghien en 1666 : il y a, note-t-il, un jeu de mail avec des bandes de pierres s'élevant à la hauteur des sièges de maçonnerie ; ce jeu est long de mille pas et large de trente. Tout autour circule un passage contournant, avec des haies de verdure. Sur les bandes de pierre doivent trouver place de nombreuses statues.
Autre visiteur de marque : François Brunet, président de
la Chambre des Comptes à Paris, venu à Enguyen par curiosité
en 1680.
Après s'être extasié devant la beauté des jardins et plus
particulièrement devant ces berceaux, palissades et balustrades
de charmille dont on fait toutte sorte de figures et aussi promptement
que si c' es toit des ouvrages de sculpture et de menuiserie,
après avoir encore souligné que les berceaux et une balustrade
de charmille entr' autres sont l'une des plus belles choses que j' aye
veües et, enfin, pour la généralité, que le parc est grand, bien
entendu et très bien planté, il aborde le mail pour en préciser (?)
qu'il est un tiers plus grand que celui de ... (blanc)<15>. Qu'avait-il
en mémoire ? Le saura-t-on un jour ? .
Autre témoignage plus intéressant :il date de 1685.
Nicolas Visscher, introduisant l'album de gravures de
Romeyn de Hooghe illustrant la Villa Angiana, vulgo Het Pere
van Anguien, présente la planche qui nous concerne, en ces termes
: Un jeu de mail à perte de vue, qui a 2. 700 pieds de long et
dont le terraîn est si dur et si uni qu'il semble de marbre poli. Il est
fermé d'une bonne muraille de pierre qui est entourée d'une
haute palissade de cyprès. A quatre pieds de hauteur au dessus du
mail, règne une large promenade, d'où l'on peut juger des coups
sans danger161
•
(14 suite) Voici, à titre exemplatif, les instructions vestimentaires données pour Je Grand
deuil de Cour à porter par les dames à l'occasion du décès de l'impératrice Marie-Thérèse
décédée à Vienne Je 29 novembre 1780 :
" Depuis le 14 décembre jusqu'au 31 janvier 1781, les dames porteront des habillemens
d'étoffe de laine , coiffures et ornemens de gaze d'Italie noires, pierreries noires, gants,
éventails noirs, souliers de chamois noirs et boucles bronzées ;
Du l" février au 21 mars, les dames ne feront aucun changement ;
Du 22 mars au 26 avril, elles auront des habillemens de gros de tour noir, coiffures noires à
garniture de gaze d'Italie blanche, pierreries noires, éventails et souliers blancs ou noirs ;
Du 27 avril au 2 juin avec les mêmes habillemens, elles porteront des coiffures, ornemens
de tête et garnitures en dentelles blondes ou entolages sans effilets, éventails et souliers
blancs et diamens ". (A.Y.D.).
(15) F. HACHEZ, Les descriptions, les plans et les vues de Mons (Chap. V. Relations de
voyages) dansA. C.A. Mons, t. XVIII, 1883, pp. 371-372.
(16) Villa Angiana. Commentaire de la gravure deR. de Hooghe, figure 0 , p. 9.
Ces gravures ont été publiées et commentées par Y. DELANNOY, dans A .C.A.E., t.
XlX, 1979, 110 J{ avec Atlas, et ID., Le Parc et les fameux jardins d'Enghien, Enghien,
1986, 45 p. avec les gravùres sous fardes (H. corn.).
Depuis la publication de cette première étude, nous avons découvert le texte original français
des Commentaires de Visscher. C'est celui-ci que nous avons repris ici, plutôt que la
traduction qui en a été donnée dans cette étude.
On en trouvera le texte complet dans la seconde de ces études.
On notera que ni Visscher ni de Hooghe ne font apparaître
tant statues que balustrades. Pas plus d'ailleurs que Joannes
van A vele et que cet autre graveur que nous croyons être Pie ter
Schenck<17>.
Il est vrai que le Père Charles y fait allusion avec cette
nuance : le temps y donnera ... Ainsi, en était-il donc dans les
cartons, sans hélas ! en être autrement sorti... ni en 1666
comme le rapporte le comte de Segni, ni en 1687, comme le
laisse supposer le silence de Ttyssin à ce sujet.
Après avoir évalué les dimensions du mail à 1.276 ellen ( c.
893 m.) et 17,5 ellen ( c. 12,25 m.) -il est donc assez proche des
mesures du Père Charles<18>-, Tessin déplore l'étroitesse des promenades
latérales qui, d'après lui, eussent gagné à se trouver
élargies l'une et l'autre, de deux ellen (c. 1,40 rn) à six ( 4,20 m.).
Il en calcule la surélévation à une elle (c. 0,70 m.), tandis
que Visscher lui en donne quatre pieds (1 ,20 m.), ce que contredit
l'examen de toutes les gravures.
Décoration : point de statues ni de balustrades : Tessin se
borne à mentionner le pavement du mail et les palissades faites
de hêtres verts mêlés de quelques rouges d'une hauteur d'environ
douze ·ellen (c. 8,40 m.), ce qui n'est pas si ... mal.
Mais nous voici en 1728 avec le géomètre A.-J. Bonnevie
et, pour autant qu'on parle encore d'un mail, les dimensions de
celui-ci se trouvent ramenées à 2.650 pieds (795 m.) sur 34
(10,20 m. )(19>.
Que s'est-il passé entre-temps ?
Nous le verrons plus loin.
(17) Nous ne partageons pas l'opinion de M.E. de Jong dans son étude A propos des beaux
jardins du duc d'Arenberg (note 4 de celle-ci) attribuant à R. de Hooghe la série des douze
grawres dont nous ne connaissions pas l'auteur lors de la rédaction des deux études visées
ci dessus sub<••>. Nos dernières recherches nous orientent plutôt vers Pie ter Schenck. Nous
espérons y revenir.
(18) Une elle (en français : aune) équivalait ici à environ 0,70"m. Sur les autres évaluations
locales, v. H. DOURSTHER, Dictionnaire ... , op. cit., p. 140 et pp. 31-42.
(19) A. BONNEVIE, Consistence et grandeur du parc et chdteau d'Enghien dans
A.C.A.E . . , t. VIII, 1914-1922, pp. 92-102, plus particulièrement p. lOf.
44
LA FONTAINE DU MAIL
Le mail s'achevait, paraît-il, par un arc triomphal donnant
accès à un bassin en forme de carré ; le centre en était oc;cupé
par une fontaine.
Le Père Charles l'évoque en ces termes :c'est une statue de
métal doré de huit pieds (2,40 m.) de hauteur sur un piedestal ;
elle représente un cracheur d'eau qui ne cède en l'art aux antiques.
Il dégorge un jet d'eau de plus d'un pouce de grosseur et le
porte plus de 40 pieds de haut (12 m. )<20l.
Visscher en parle également : .. . du côté du mail, il y a une
statue d'une hauteur au dessus de l'ordinaire, qui tient les mains
au côté, et, levant la tête, lance par la bouche un gros jet d'eau qui
vient retomber dans une grand bassin de pierre de figure ronde,
lequel se décharge dans un autre bassin qui est au-dessous<21 l.
Ce bassin, d'après le plan qu'en donne Tessin, déborde
quelque peu la largeur de l'allée, alors qu'il n'en est pas ainsi
dans les gravures de l'époque, mais bien dans les plans de cette
période<21
bisl. Il confirme la puissance du jet d'eau lancé par le
Cracheur.
La mention de cette statue est reprise dans l'Histoire de la
terre, pairie et seigneurie d'Enghien : . . . on plaça une figure
colossale coulée en plomb, d'une mine fière, les bras sur les
côtés, jaillissant les eaux par la bouche, ce qui lu y avait fait donner
le nom de Cracheur d' eau<22l .
On verra, par la suite, ce qu'il en advint.
(20) Briève description ... , op. cit., p. 121.
(21) Villa Angiana. Commentaire de la gravure deR. de Hooghe, figure 0, p. 9.
(21 bis) Voir Y. DELANNOY, Esquisse d'un Grand Domaine. Le Parc d'Enghien (XIII' XX'
sièle), Enghien, 1986, 48 p. , reproduisant notamment, p. 9, un Plan du Parc vers 1660
(A.G.R. Fonds Arenberg, Cartes et plans, no 1.059) dont il existe une excellente copie
(Copie d'un ancien plan du vieux Pan; d'Enghien postérieur à 1660, copié en may 1808 par
Fr. Broux (A.G.R., id. , no 975) ; p. II, Plan du Parc d'Enghien à S.A .S. Monseigneur le
duc d'Aremberg et d'Arschot en 1719 (A.G.R., Id., no 599) auquel il convient de rapprorcher
Le Plan du Parcq et château d'Enghien à S.A. Sérénissime Monseigneur le Duc d'Arenberg,
etc .. , dressé par le géomètre A.-J. Bonnevie en 1728 ; p. 12, un planduParcquenous
avons cru pouvoir dater des environs de 1750, ainsi qu'un autre de la même période
(A.G.R., Id., no 828).
(22) Histoire ... , op. cit., p. 52.
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LA TOUR DU MAIL
Non loin, derrière cette fontaine, le duc Philippe-François
fit ériger, en 1659, une tour supportant un vaste réservoir en
plomb destiné à l'alimentation de la fontaine. L'eau y était
acheminée à l'aide d'un moulin actionné par un cheval.
Cet édifice était ajouré vers l'extérieur du parc et permettait
d'admirer la campagne.
Le Père Charles en parle comme d'un cabinet très agréable
orné de grandes et belles paintures quy en couvrent les murailles
; le pavé de marbre et le plafond avecq ces compartimens
accompagne le reste : la veue en est très belle, puisque d'un costé
vous avés le prospect du mail et du cracheur d'eau et à l'opposite
vous voyés au-dessus de l'enceinte du parc le paysage le plus
divertissant du monde et, si vous vous appuyés sur une balustrade
de marbre qui borne ce cabinet, vous verrés au-bas une très
belle grotte1231 qui fait couler plusieurs fonteines. A droitte, vous
pouvés considérer une assés grande forest de chesnes très agréable
à se promener, vous y avés au milieu d'un tapys vert des fonteines
et des dains quy vous y donnent du plaisir, vous y voyés
aussy des prés, des estangs, une belle allée de sapins qui couronne
ce parc ... et, pour terminer vostre veue, une belle maison
quy pouroit servir à quelque gentilhome, mais à présent sert pour
le hara de ce Prince et de retraite au gibier dans la rigeur des
h y vers. A gauche, vous y contentés vos te v eue en la considération
d'un grand pré environné d'arbres de belle hauteur et arrousé par
le milieu d'un ruisseau de fonteine, le tout est extrêmement ravissant<
24>.
Visscher est plus discret à propos de ce panorama : après
avoir considéré ce beau Cabinet à jour où ceux qui sont las de
jouer et de se promener, peuvent prendre le frais et se divertir à
contempler d'un côté la carrière du mail qui forme un agréable
perspective, il se borne à relever que, de l'autre côté, on peut
découvrir la vieille muraille du Parc et les terres adjacentes<25>.
(23) Le manuscrit précise en marge : Elle n'est pas encore faite, et ne semble jamais l'avoir
été.
(24)Briève description ... , op. cit., 121-122.
(25) Villa Angiana. Commentaire de la gravure deR. de Hooghe, figure 0, pp. 9-10.
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Quant à Tessin, il confirme par ses annotations l'existence
de cette espèce de château d'eau, de haute dimension.
Que pens~r de tout ceci devant ce qu'çm appelle
aujourd'hui le Mail, ce pavillon actuellement des plus délabrés
qui se dresse par delà la boucle du Canal ?
Les relations du Père Charles doivent être considérées
avec'certaines réserves.
L'enthousiasme qu'il manifeste à l'égard du parc dont il a
dessiné la figuration, est sans doute très compréhensible mais il
ne manque pas de " forcer " quelque peu les réalités.
Par ailleurs, sa narration revêt à plusieurs reprises le caractère
d'un programme à exécuter plutôt qu'une véritable description
de ce qui fut effectué :en maints endroits, il ~nticipe et
le manuscrit porte ici et là des mentions marginales telles que :
il n'est faict ... Cecy n'y est pas encore ... Cecy est à faire ...
De même, l'introduction de Visscher et les gravures de
l'époque :tout en" collant "aux réalités, est-il besoin de souligner
combien celles-ci ont été magnifiées par cet apport de
transcendantes beauté et grandeur ? Vouloir là susciter l'admiration,
mérite ici un regard critique.
Il n'empêche et c'est ici que le rapport de Tessin, témoin
oculaire, impartial autant que réaliste, nous est particulièrement
précieux à plusieurs égards : le Mail fut d'une grandiose
longueur, les palissades, d'une belle hauteur, la fontaine, d'un
indéniable effet, la (our et son réservoir, enfin, d'une évidente
réalité.
Dès lors, une question : comment expliquer que, de tout
cela, n'en demeure plus aujourd'hui qu'un bâtiment ne correspondant
d'ailleurs plus à ce qu'on en a décrit ?
La réponse peut ainsi se résumer : le duc Léopold d'Arenberg
(1690-1754) tenta, mais en vain, d'entretenir le Mail ; finalement,
il se résolut à n'en plus garder qu'une grande allée bordée
de charmilles, dont il fallut déplorer à ce point l'extrême humidité
que celle-ci rendait cet endroit peu propre à la promenade. r261
• Ce
(26) Histoire ... , op. cit., p. 53.
fut, dès lors, l'abandon :le mail sera démantelé vers 1724<26
bisJ et
ce lieu n'est plus aujourd'hui que bois et sauvage végétation
d'où émergent le " Grand Chêne " et quelques superbes
séquoias dont hélas ! la majesté ne suffit pas à rappeler la célébrité
du fameux Mail d'Anguien ...
D'autre part, la prolongation du Canal vers la gauche le
long de la muraille du parc en direction de la Chaumière a
réduit la longueur du mail, séparant 'Ce qu'il en reste, de son
Pavillon.
La fontaine disparut dans ce même prolongement du Canal.
Quant au fameux Cracheur, le duc Léopold le fit démolir, puis
fondre<27l ; de fait, il ne figure pas dans l'inventaire des statues
dressé en 1770. A cette nouvelle extrémité du mail, il n'y a plus
alors qu'un grand vase de plomb et, dans une niche, un Esculape,
entouré d'un serpent, ou l' Imposteur28l .
Venons-en à la tour. Faute d'entretien -on devine ce qu'il
en fallait là-haut pour faire face aux rigueurs de l'hiver .. . -,on
dut se résoudre à en supprimer le réservoir.
Le moulin perdit ainsi sa raison d'être et le duc Léopold
décida de le faire enlever. <29l .
Le bâtiment, désormais sans objectif, subit diverses modifications
: sa hauteur fut ramenée à ce qù'elle est
aujourd'hui<30l ; une baie donnant vue sur le mail, supprimée
les autres ouvertures, réduites.
(26 bis) Histoire ... , op. cit., p. 59.
Il est malais!! d'être plus précis à propos de cette date. A ce jour, en effet, nous n'avons pas
retrouvé dans les comptes du Parc des détails concernant ce démantèlement. De nombreuses
pièces comptables ont disparu et, pour cette époque, la plupart des dépenses relatives
aux travaux de ce domaine ne figurent que dans une rubrique globale : " Travaux du
Parc "figurant dans les comptes généraux de la Maison.
On relève néanmoins qu'en 1723, des ouvriers sont occupés à remplir le fossé là où on a ôté
les vielles buses du vieu maille (A.G .R. , Fonds d'Arenberg, n• 6. 595), tandis que , l'année
suivante, ils travaillent à démolir les pierres du maille et à les voiturer dehors. Déjà en 1715,
il est question du mail comme il s'agissait d'une prairie (Id ., Acquits de 1715).
(27) Histoire ... op. cit., p. 53.
(28) L'ornementation du parc d'Enghien en 1770 dans A.C.A.E., t. VIII , 1914-1922, p.
133.
(29) Histoire ... , op. cit., p. 53.
(30) Histoire .. :·, op. cit., p. 52.
Tel est-il aujourd'hui, mais dans un état, on ne peut plus
lamentable : la corniche supérieure menace ici et là de tomber ;
la toiture est complètement effondrée, tandis qu'à l'intérieur,
dans un amas de poutres vermoulues et d'ardoises brisées, les
broussailles et arbustes ont envahi ce reposoir jadis si charmant<
31l.
Et pourtant ... Oui ! ce pavillon, aux riches heures d'hier et
aux belles lignes d'aujourd'hui, mériterait bien d'être restauré
parmi ces chênes magnifiques qui en escortent l'histoire ...
Il n'est pas trop tard, mais assurément, il est grand temps .. .
Faudrait-il décevoir les Muses qui jadis chantèrent ici ce .. .
" tableau de beautés, de vie enchanteresse
" de charmes surprenants, de luxe et -de richesse ?<32l.
(31) La façade de ce pavillon mesure actuellement 10,90 m. de hauteur et 10,55 m. de largeur.
Il forme à l'intérieur un carré légèrement imparfait de 5,90 rn sur 5,81 m.
Dans son état actuel , plusieurs toitures semblent s'y être succédées. La façade, vue de
l'intérieur permet, en effet, de croire à une toiture triangulaire, soit à deux, soit à trois
pans, ne dépassant pas le somm~t de cette façade. Certaines figurations- notamment la
lithographie qu'en a laissée J.-B. Madou, coiffent au contraire cet édifice d'une toiture
dominante dont le coloris -pour autant qu'il soit conforme aux réalités- fait penser à des tuiles.
Au dessous de cette salle, se trouve une cave parfaitement voûtée avec ouverture du côté
des champs, encombrée de tout un attirail ayant servi à l'élevage de faisans. Cette cave
comprend une chambre souterraine à laquelle on accède par un escalier de cinq marches en
pierre de taille. On y décèle huit bouches actuellement obstruées qui méritent d'autres
investigations .. .
(32) Cl. DEL TENRE, Le pd re d'Enghien, 1856.
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