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A la découverte d'Enghien par d'autres chemins

Le Collège Saint-Augustin de 1940 à 1945.

 

L'EXPULSION EN MAI 1940

 

Le soir du dimanche 19 mai, quelques centaines de soldats prenaient leurs quartiers dans les bâtiments du Collège et inauguraient une occupation militaire qui devait durer jusqu'à la fin de l'année 1945. D'autre part, le lundi 20, un groupe d'officiers se présentait pour s'installer dans les chambres des professeurs. Evidemment, tous ces appartements laissés libres par le départ de leurs occupants habituels étaient forts tentants. Cependant, toutes les portes étaient closes et les sœurs n'en possédaient pas les clefs. Mauvaise humeur de ces Messieurs mais qui ne dura guère car toutes les serrures furent bien vite fracturées. Désormais, voici les boches dans nos meubles ! Il n'était pourtant pas encore question d'expulsion. Les sœurs, le personnel restant, Monsieur l'abbé Derycke et quelques réfugiés installés précédemment dans les caves purent y rester provisoirement. Une cave avait été transformée en chapelle et dans cette nouvelle catacombe, où l'Eucharistie était conservée, chaque matin l'abbé distribuait aux Sœurs la Sainte Communion.

Une semaine allait ainsi se passer en cohabitation avec les troupes de passage, cohabitation d'ailleurs fort incommode et qui n'était pas toujours exempte de dangers ni d'aventures pour nos bonnes scieurs. Chaque nuit, des soldats en quête de boisson descendaient rôder dans les caves et en déranger les habitants. C'est ainsi qu'un soudard ivre voulut forcer la salle où logeaient enfermées les religieuses. Devant leur refus d'ouvrir, il se faisait menaçant et risquait d'enfoncer la porte.

Une semaine allait ainsi se passer en cohabitation avec les troupes de passage, cohabitation d'ailleurs fort incommode et qui n'était pas toujours exempte de dangers ni d'aventures pour nos bonnes sœurs. Chaque nuit, des soldats en quête de boisson descendaient rôder dans les caves et en déranger les habitants. C'est ainsi qu'un soudard ivre voulut forcer la salle où logeaient enfermées les religieuses. Devant leur refus d'ouvrir, il se faisait menaçant et risquait d'enfoncer la porte. Sœur Lucie, religieuse luxembourgeoise, grâce à sa connaissance de l'allemand, essaya d'abord de parlementer et d'apaiser le forcené, mais en vain. Pour finir, elle dut casser une vitre du soupirail et appela au secours. Attiré par le bruit, un officier descendit, s'excusa — alors ils étaient « corrects », n'est-ce pas ! — et expulsa rudement le soûlard qui n'en menait pas large.

Durant cette même semaine, une religieuse liégeoise, réfugiée chez nous, épuisée et malade, mourut après avoir été assistée par un médecin allemand. D'autre part, trois de nos religieuses durent quitter momentanément le Collège pour se rendre à Leuze soigner les blessés chez les Sœurs de Saint François de Sales où les Allemands avaient établi un hôpital de campagne. C'étaient Sœur Jean-Marie, Sœur Anna et Sœur Jeanne. Après six jours, elles purent rejoindre leur communauté.

Le 24 mai reparaît Monsieur Jeanty ; c'est le premier des professeurs qui regagne le bercail. Après avoir été à pieds jusqu'à Rumillies-lez-Tournai, la bataille de l'Escaut l'avait heureusement empêché d'allonger son voyage.

Quant à nos occupants, adoucis alors par les perspectives d'une victoire facile et certaine, ils étaient relativement calmes. Au début de la semaine, ils avaient ramené au Collège le corps d'un de leurs officiers supérieurs tué aux environs d'Enghien. Ils l'étendirent dans le chœur de la chapelle sur un grand drapeau à croix gammée et, durant tout un jour, quatre soldats veillèrent le cadavre et lui rendirent les honneurs.

Cependant, après quelques jours de repos, les premières troupes étaient reparties, mais non sans avoir donné aux Sœurs le conseil de cacher ce qu'elles pourraient avoir de précieux. « Leurs successeurs, disaient-ils, seraient moins paisibles et moins honnêtes. » Après leur départ, des femmes belges, sur les ordres de l'intendance, firent un premier nettoyage des locaux et c'est ainsi qu'un certain nombre d'effets et d'objets prirent le chemin de l'extérieur. Inutile d'ajouter que ce n'était pas pour retrouver un jour leurs légitimes propriétaires... Mais n'insistons pas sur ces détails peu reluisants, cela vaut mieux !

A la fin de la semaine, arrivèrent de nouveaux occupants. Leurs prédécesseurs ne s'étaient pas trompés sur leur compte. Beaucoup plus exigeants, il leur fallait le Collège pour eux seuls. Le mardi 28 mai, l'ordre fut donné après le dîner d'évacuer complètement tous les bâtiments avant six heures du soir en abandonnant, meubles, matériels et provisions. Malgré cette exigence, on essayait toutefois d'emporter tout ce que l'on pouvait, quand le délai de départ fut abrégé et à la fin de l'après-midi, il fallut tout laisser et partir. Le soir, nos religieuses logeaient à l'hôpital d'Enghien, dont les sœurs avec une large charité et une grande compréhension de la situation voulaient bien nous accueillir provisoirement.

A partir de ce moment, la grande épreuve commençait. Interdiction nous était faite de pénétrer encore dans notre maison et ce fut le pillage en règle, organisé à l'allemande. Les abondantes provisions furent enlevées. De gros camions de la Wehrmacht chargèrent ce qui devait être nos réserves de guerre pour nos internes. Heureux de l'aubaine, les soldats exhumèrent des caves et emportèrent sucre, café, caisses de pâtes alimentaires, boîtes de conserves, bref tout ce que la sage prévoyance de M. l'Econome y avait amassé par centaines de kilos. Hélas ! cette sage prévoyance n'allait guère servir qu'à réjouir les estomacs de nos envahisseurs, mais vraiment, devant la presque certitude de la guerre et quand on porte la responsabilité de la vie matérielle de plus de quatre cents personnes, tout un village, aurait-il fallu ne pas faire de provisions ? Quoi qu'il en soit, toutes ces précieuses denrées nous auraient été bien utiles durant les années maigres de l'occupation !

Le jeudi 30 mai, nouveaux événements : des prisonniers belges sont amenés au Collège pour être transférés après quelques jours dans le grand bâtiment inoccupé du Couvent des Dames de Nazareth. L'aide des habitants leur permit de s'en évader bien vite.

Le samedi 1er juin, retour de M. l'Econome et de M. l'abbé Suys qui font part de leurs aventures de guerre. Brancardiers au 42e de ligne, la capitulation les avait surpris quelque part en Flandre. Incorporés à une colonne de prisonniers et dirigés vers Termonde, ils avaient pu, en cours de route apprécier l'hospitalité de plusieurs anciens élèves. Arrivés affamés à Wetteren, la famille Dewit les avait réconfortés d'un splendide dîner. En ce même endroit, leur débrouillardise leur permit de fausser compagnie à leurs gardiens et d'échapper à la captivité en Allemagne. Ils avaient ensuite trouvé à Merchtem, l'accueillante maison des Depauw où grâce à l'amabilité de leur hôtesse, ils avaient troqué leurs uniformes contre des vêtements civils moins compromettants. Le retour n'était alors plus qu'un jeu. Et c'est ainsi que vers cinq heures de l'après-midi, tous deux descendirent d'auto à Enghien, M. l'abbé Suys en costume clair de jeune homme et M. l'Econome flottant dans un vaste complet bleu, car sur les routes de Flandres il avait littéralement fondu. Leur consternation est grande quand, après avoir traversé les ruines de la ville, ils arrivent au Collège e! le trouvent rempli par les premiers prisonniers alliés qui viennent d'arriver. Inutile de vouloir entrer, la consigne est formelle. Ils vont donc rejoindre les Sœurs et M. Jeanty à l'hôpital. Mais le problème du vêtement se pose puisque leur garde-robe est restée au Collège avec son contenu maintenant perdu. Après beaucoup d'essais infructueux, ils trouvent le lendemain des soutanes à leur taille et redeviennent des ecclésiastiques dignes et décents. Tous les professeurs éprouveront à leur retour pareille mésaventure et auront ainsi à déplorer la perte de leur linge, vêtements et effets personnels restés au Collège.

A partir du dimanche 2 juin, arrivent désormais par milliers les prisonniers alliés : Français, Anglais, Belges, Marocains, Sénégalais s'y rencontrent pêle-mêle. D'abord parqués sur la plaine de jeux en face du Collège et remplissant les prairies jusque derrière l'hôpital, ils sont ensuite entassés selon les possibilités à l'intérieur des bâtiments. C'est pour les sœurs et les professeurs une occasion nouvelle d'exercer leur charité et leur patriotisme car ces hommes, épuisés par une longue route, réduits à la plus extrême misère, meurent de faim et de soif. Chaque jour se présentent de nouveaux contingents car, pour ces malheureux, Enghien est un relai sur le long chemin qui mène en Allemagne. Le nombre maximum est atteint après la chute de Calais et Dunkerque et l'on estime à près de cent vingt mille le nombre de prisonniers qui passèrent par le Collège.

Cependant, M. l'Econome ne peut se résigner à abandonner sa maison sans en rien sauver. Le lundi matin, en compagnie de l'abbé Suys, il parvient à s'y glisser avec la prudence et la ruse d'un Sioux en exploration et entreprend la visite des caves. Celles-ci ne sont guère gardées car toutes les sentinelles sont préposées à la surveillance des prisonniers. Dans la cuisine déserte s'élève une impressionnante montagne de sucre ; en vitesse, un panier en est rempli, mais hélas ! nos cambrioleurs sont surpris en flagrant délit. Accablés par un torrent d'injures teutonnes, poursuivis par des bâtons menaçants, ils s'engouffrent dans le grand monte-charge, seule issue possible ; ils peuvent ainsi échapper aux gardiens déconcertés et gagner l'extérieur. L'alerte a été chaude mais n'arrête pas leur ardeur de récupération. L'après-midi nouvelle exploration ; les caves sont gardées cette fois, inutile de s'y présenter. Rien à faire non plus au premier étage qui, d'ailleurs, a déjà été pillé. Le second étage se prête à une évacuation en règle : bien vite mille objets hétéroclites sont descendus et déposés dans la maison de M. Masson, contiguë au Collège, où finalement les deux amis installent leur logement. Dieu sait quels trésors ils auraient encore sauvés si leurs allées et venues suspectes n'avaient attiré l'attention d'une sentinelle. M. Suys est soudain entouré de quatre feldgraus commandés par un gros drôle couvert de galons et le voilà pris ! Aux injures sonores qui lui sont prodiguées le nouveau prisonnier ne comprend pas grand chose sinon le leitmotiv : « Fou-z-êtes un foleur ! » Poussé par la pointe d'une baïonnette, il est d'abord jeté dans le fossé qui borde la route puis consigné dans une pièce de la maison de M. Masson avec le sévère avertissement : « Si vous foulez vous saufer, fous serez fousillé ! » Deux sentinelles font maintenant bonne garde et empêchent toute tentative d'évasion. Le soir, M. l'Econome peut apporter au reclus ravitaillement et réconfort. Le lendemain, à l'abbé qui demande à pouvoir célébrer la messe, la sentinelle répond froidement : « Fous aurez le temps de la dire souvent au ciel ! » Perspective encourageante assurément mais heureusement la nécessité d'aider les prisonniers parqués sur la plaine de jeux fournira à M. Suys l'occasion de s'évader. M. l'Econome, en effet, avait entrepris d'apporter de l'eau à ces malheureux épuisés de soif. Il réclame l'aide du prisonnier pour vol et durant des heures circulent remplir d'eau les récipients les plus invraisemblables. Sauf des bols et des verres devenus introuvables, tout est utilisé, depuis les couvercles de boites à cirage jusqu'à ces vases... qu'il est convenu de ne pas nommer en bonne société ! Grâce à ce va et vient, les gardiens perdirent le contrôle de leur voleur et notre abbé confondu avec d'autres soutanes moins suspectes put s'éclipser discrètement. Toutefois, durant quarante-huit heures, les sentinelles, relevées régulièrement, continuèrent à monter leur garde devant une salle vide. Un soldat allemand ne connaît que sa consigne n'est-ce pas et il n'est pas nécessaire que celle-ci soit intelligente ! Ainsi finit un épisode tragi-comique.

Au cours du mois de juin, plusieurs professeurs reparaissent. Le 3, c'est M. le Préfet Moreels et M. Matagne ; le 8, M. le Principal, M. Versailles et M. Delwart le 11. Tous ont été coupés dans leur évacuation par la percée allemande sur Abbeville ; pris en pleine bataille de la Somme, ils ont frôlé la mort de bien près. A la fin du mois, M. Demeure nous revient à son tour ayant pu échapper à la captivité. Mobilisé depuis le mois de septembre comme aumônier de Chasseurs à pieds, il avait fait toute la Campagne des Dix-huit jours.

M. le Principal avait décidé de reprendre les cours au plus tôt selon les possibilités et dans des locaux de hasard. Aussi, le lundi 17 juin, les quelques professeurs présents recommencent leurs classes, groupées surtout à l'hôpital. Chaque matinée, ils réunissent les externes d'Enghien et des environs immédiats, et ces élèves se remettent tant bien que mal à l'étude.

Le 1er juillet, M. Orban, aumônier militaire lui aussi, nous revient en uniforme et il aura bien du mal à trouver une soutane. Le 10, retour de l'abbé C. Deffrennes. D'autre part, nos religieuses, momentanément sans emploi à Enghien, nous quittent quelques temps pour leur couvent de Binche. Le 13, M. l'abbé Lambert, qui durant la mobilisation avait fait l'intérim en syntaxe, vient rejoindre ses confrères. A partir du 18 juillet, innovation qui aura des conséquences importantes et alors imprévisibles, les classes ont lieu au Vieux Collège de la rue des Augustins, chez les Pères Jésuites, ou dix jours plus tard, exactement le 27 juillet, se termine cette mémorable et fatale année scolaire 1939-1940.

 

DE JUILLET 1940 A JUILLET 1946

 

L'INSTALLATION A LA MAISON SAINT-AUGUSTIN

 

Le 27 juillet 1940 la première année scolaire de la guerre prenait fin. A partir de la mi-juin quelques professeurs avaient regroupé les externes soit à l'Hôpital soit dans des maisons particulières, et, à partir du 18 juillet les classes s'étaient données au Vieux Collège à la rue des Augustins. Durant toute cette période quelques professeurs ont trouvé un gite dans des maisons amies, d'autres sont logés à l'Hôpital où notre petite communauté se retrouve réunie pour les repas. Nous tenons à exprimer ici notre reconnaissance et notre profonde gratitude aux religieuses de l'Hôpital et à nos amis de la ville qui ont bien voulu accueillir les vagabonds sans abri que nous étions devenus.

Le 8 août nos sœurs reviennent de leur Maison de Binche et le 15 retour de M. Cogneau qui, aumônier militaire, avait suivi son unité dans le midi.

Cependant le problème de la reprise des cours se pose sans tarder. Déjà pour terminer l'année scolaire nous avions repris contact avec la vieille maison qui de 1623 à 1882 avait abrité notre institution. Quitté en 1882 pour les nouveaux bâtiments du Pavé d'Ath, le Collège était alors devenu la maison d'études des RR. Pères Jésuites français des provinces de Champagne et de Toulouse. Presque tous les Pères ayant regagné la France, les vastes bâtiments étaient donc momentanément désaffectés de leur destination habituelle. Après une courte occupation militaire allemande au mois de mai, la maison se trouvait libre. M. le Principal Carlier sollicite de la bienveillance du Révérend Père Provincial et du Révérend Père Monot, recteur d'Enghien, la possibilité d'utiliser les bâtiments. Cette demande était délicate car nous nous trouvions en compétition avec les RR. Pères Jésuites de la province belge dont le scolasticat de Louvain avait été incendié par les allemands. Cependant, vu l'intérêt essentiel de la continuation du Collège tant pour la ville que pour notre institution elle-même, il apparaît évident que notre activité ne peut s'arrêter. Préférence nous est donc accordée : la Maison de la rue des Augustins nous ouvre ses portes pour la durée indéterminée qu'exigeraient les circonstances. Qui se serait alors douté que ce retour au berceau de nos origines allait durer six ans. Comment exprimer notre gratitude aux RR. Pères Jésuites français pour cet immense service qu'ils nous ont rendu. Grâces soient rendues à l'extrême charité, à la compréhension du R. Père Monot et du R. Père Wilme, ministre de la maison. Leur geste a permis au Collège de tenir et de vivre une existence à peu près normale durant toute la guerre.

Le lundi 19 août commençait aussitôt l'installation dans les nouveaux locaux. Les professeurs, démunis de tout mobilier, ont la chance de trouver les chambres meublées des RR. Pères Jésuites. Une partie du matériel scolaire, les bancs de classe, une partie des nouveaux bancs de l'étude, bref ce qui encombre et gêne les Allemands au Collège peut être amené à la Maison Saint-Augustin. Quant au reste —  sauf quelques livres récupérés un peu plus tard — il faut le considérer comme définitivement perdu.

Le 26 août, retour de M. l'abbé Van Nuffel, retenu jusqu'alors à l'armée dans le midi de la France. Ce même jour nous apprenons la mort tragique d'un de nos professeurs laïcs, M. Masson tué près de Rouen dans un accident de chemin de fer, le 18 mai, lors des évacuations.

Le samedi 7 septembre, M. Reumont arrive en droite ligne du fond des Pyrénées. Depuis le mois de juin, il avait rempli, dans un minuscule chef-lieu de canton, les fonctions de curé et d'aumônier d'un hôpital de réfugiés. Désormais, sauf M. Goor et M. Clément, prisonniers en Allemagne, le corps professoral est au complet et prêt à reprendre sa besogne. Il se retrouve fortement allégé des biens de ce monde car pratiquement nous avons à peu près tout perdu dans l'aventure: meubles, linge, vêtements, effets divers, et, ce qui est plus grave encore pour des professeurs, livres, cours, fiches et notes personnelles, fruit sans doute irremplaçable de longues années de travail. Il faudra repartir à neuf et il y a plus malheureux que nous !

Les bâtiments assurés, le corps professoral réuni, il s'agissait de regrouper les élèves. Dès le 8 août, M. le Principal y avait pensé en envoyant aux parents une circulaire où il disait entre autres choses :

« Il ne nous est pas possible de prévoir en ce moment quand les bâtiments du Collège seront à même de recevoir les élèves. Force nous est donc de prendre des mesures pour l'organisation de la rentrée de septembre. Les RR. PP. Jésuites français ont eu l'extrême amabilité de mettre leur maison d'études d'Enghien à notre disposition. C'est l'ancien Collège épiscopal situé 7, rue des Augustins. L'exiguïté relative des locaux et surtout le manque de lits ne nous permettra pas de reprendre tous nos élèves. Les cours reprendront uniquement pour les classes gréco-latines et pour l'école moyenne d'agriculture. S'il y a assez d'élèves, nous donnerons les cours de 7e et 8e, ces cours ne seront cependant accessibles qu'à des élèves externes. »

« La rentrée aura lieu pour les internes le lundi 9 septembre avant 19 heures ; pour les externes le mardi 10 septembre à 8h15. Chaque interne occupera une petite chambrette et non pas une alcôve. Les frères éventuellement logeront dans une seule chambre. Les élèves veilleront à se munir de leur carte de ravitaillement dès le premier jour et de tous les timbres qui y correspondent... Nous tenons à assurer les parents que nous mettrons toute notre sollicitude pour faire en sorte que les enfants puissent trouver au Collège — non pas sans doute le régime alimentaire d'avant-guerre — mais un régime dont les restrictions inévitables ne nuiront ni à leur santé ni à leurs études. »

 

L'année scolaire 1940-1941

 

C'est donc dans ces conditions que le 9 septembre le Collège ouvrait ses portes pour la nouvelle année scolaire 1940-41. Il y avait un total de 209 élèves dont 72 internes et 137 externes. Très peu de nouveaux élèves ; un certain nombre d'anciens internes des environs sont devenus externes. Les classes préparatoires sauf la septième sont inexistantes, de même la première et la seconde modernes ont été supprimées. La sixième moderne comptait 20 élèves et la sixième latine, 21. Cette année scolaire va se passer assez calmement pour le Collège. Le nombre restreint d'élèves et l'exiguïté des locaux créent aussitôt un esprit de famille qui va persister très heureusement toute la guerre.

Le 13 septembre, grâce à une autorisation allemande, nous organisons une expédition au Pavé d'Ath pour ramener encore une partie des livres de la bibliothèque. M. Jeanty se fait mettre à la porte et insulter brutalement parce qu'il se permet d'enlever aussi des appareils du cabinet de physique !

Le mois de janvier 1941 se signale par deux débuts d'incendie qui auraient pu devenir très sérieux. Le premier, le jour même de la rentrée des vacances de Noël et le second une quinzaine de jours après. Une poutre contiguë à la grande cheminée du chauffage central avait charbonné lentement et le feu s'était communiqué aux poutres du toit. Grâce à Dieu, nous pûmes nous en apercevoir à temps dans la soirée et éviter ainsi de justesse la catastrophe. Pendant deux heures, les RR. PP. Jésuites, les professeurs et les rhétos font la chaîne, déversent extincteurs et seaux d'eau et nous parvenons à écarter tout danger. Dans leur séance de mi-carême le 25 février, les rhétos en profitent pour composer une « Madame la Marquise 1941 » où ils mettront en chanson l'incendie, le rôle glorieux des rhétos, les pommes de terre gelées et de nouvelles menaces de réquisition.

D'autre part, au Collège du Pavé d'Ath, devenu hôpital réservé aux prisonniers français et anglais, plusieurs évasions se produisent. Les allemands resserrent en conséquence le régime comme l'atteste l'ordre suivant affiché dans les corridors et dont nous possédons un original :

 

Hôpital pour prisonniers de guerre d'Enghien.

Le Médecin chef de l'Hôpital pour Prisonniers de guerre d'Enghien fait connaître à la date du 21-2-41 ce qui suit :

La cuisine sera fermé à 21 heures.

Les achats pour la cantine seront soumis à l'approbation du Médecin chef. La liste d'achats doit lui être présentée pour autorisation.

Après 21 heures, aucun prisonnier ne doit quitter la chambre qui lui est assignée, sauf pour utilisation des W.C. à l'étage où il se trouve.

Celui qui sera trouvé après 21 heures dans un local étranger à celui qu'il doit occuper, ou qui essaiera d'entrer dans un tel local, sera considéré comme ayant l'intention de fuir et il sera tiré sur lui sans sommation.

La lumière devra être éteinte à 22 heures dans toutes les chambres.

Le Médecin chef de l'Hôpital.

 

Et de fait, certains jours à cette époque — nous l'avons pu constater personnellement, — toute circulation était interdite, même en plein jour, aux prisonniers à l'intérieur du Collège, et des sentinelles, baïonnettes au fusil, gardaient sévèrement l'accès des escaliers et des corridors !

Cependant vers Pâques, l'Hôpital évacuait ses derniers blessés. Un certain nombre de Français furent rapatriés et les autres expédiés en Allemagne. Le 9 avril, suite à une demande qui lui avait été faite, la Kreiskommandantur de Soignies nous donne l'autorisation de cultiver le jardin potager. Ceci va nous fournir un précieux appoint en ce temps d'extrême disette. Toutefois, malgré le départ de l'hôpital, l'accès aux bâtiments vides nous reste interdit. Ceux-ci sont remis à la garde de la ville, comme en témoigne cette lettre de la Kommandantur de Soignies, adressée à la date du 26 avril au bourgmestre faisant fonction :

« Le Collège St-Augustin reste à la disposition de la Kreiskommandantur de Soignies. Je vous prie de veiller à la garde efficace du bâtiment. Je remets à la commune d'Enghien les clés du bâtiment. Ainsi vous en avez la responsabilité. Le Directeur du Collège a reçu de la Kreiskommandantur l'autorisation de cultiver le jardin. Une autorisation en ce sens lui a été délivrée. L'autorisation permet seulement l'entrée du jardin. Toute contravention à cette défense devrait être transmise à Soignies. »

 

Nous l'enfreignîmes cependant : quelques professeurs s'introduisirent dans le Collège pour en retirer soit des débris de leur mobilier, soit des caisses enterrées dans une cave et contenant des objets précieux de la sacristie ainsi qu'une bonne partie des couverts et gobelets du réfectoire des élèves. Peu de temps après ceci, le Collège était occupé de nouveau par des troupes tandis que d'autres soldats casernés en ville enlevaient ce qui restaient de mobilier.

Nous atteignîmes ainsi sans trop de heurts, le troisième trimestre ; les grosses difficultés concernèrent le ravitaillement et c'est avec soulagement que nous vîmes arriver le 18 juillet car nos pommes de terre étaient complètement épuisées. En ce jour eut lieu la proclamation des résultats, sans cérémonies, en présence seulement de M. le Doyen d'Enghien, des seuls PP. Jésuites restant dans la maison, le R. Père Petit et le R. Père Duhr, le R. Frère Lesy, et d'un vénérable ancien du Collège, M. l'abbé Boutry, révérend curé de Steenkerque, sorti 1er de rhétorique en 1884. M. le Principal, dans son allocution, remercia la Providence qui avait veillé sur nous avec tant de sollicitude et les RR. Péres Jésuites qui en avaient été les instruments visibles, « Vécue hors de nos murs, commencée dans l'incertitude et l'inquiétude, marquée d'incidents divers, voici que cette année scolaire s'achève heureusement sous la bénédiction divine. Nous allons chanter le « Te Deum » d'action de grâces... Tous les problèmes qui paraissaient menaçants si pas insolubles, se sont résolus les uns après les autres. C'est une année presque normale que nous avons pu vivre. Que Dieu et ses saints en soient loués. »

 

L'année scolaire 1941-1942

 

La nouvelle année scolaire recommençait au début de septembre avec une population considérablement accrue. Toujours désireux de nous aider, les Rév. Pères Jésuites mettaient à notre disposition plusieurs chambres nouvelles et un dortoir commun pouvait être organisé. Ceci nous permettait d'accueillir 98 internes et 176 externes, soit un accroissement de 26 internes et de 39 externes sur octobre 1940. Au cours de l'année, nous inscrivions encore 12 nouveaux élèves portant ainsi le nombre total à 286 élèves. La seconde moderne ainsi que la huitième préparatoire étaient rétablies. Le corps professoral s'augmentait d'un nouveau membre, M. l'abbé Michel Lepoivre, ancien élève du Collège, qui devenait titulaire de la sixième moderne.

Mais hélas ! cette année s'ouvrait dans une atmosphère de deuil. Un de nos meilleurs élèves, Louis Dewattine, futur rhétoricien, était brutalement enlevé le 12 septembre par suite d'un malheureux accident survenu quelques jours avant la rentrée. Ses funérailles, auxquelles tout le Collège et la paroisse d'Enghien participèrent le 15 septembre laissèrent un souvenir inoubliable et firent une impression profonde sur ses camarades.

Le travail scolaire reprit dans la bonne atmosphère de famille qui avait caractérisé l'année précédente. D'autre part, un effort fut accompli au point de vue intellectuel pour développer le goût de la culture chez nos humanistes. C'est ainsi qu'au premier trimestre fut spécialement organisé pour nos classes supérieures un cycle de conférences littéraires. M. Léopold Levaux, professeur à l'Université de Liège, donna six conférences sur l'Humanisme catholique. Le 11 juin, M. Paul Lefebvre, professeur au Collège. nous parla admirablement d'Alain Fournier et du Grand Meaulnes. Trois conférences musicales avec audition de disques furent pour nous l'occasion d'applaudir successivement M. l'abbé Albert Clément qui présenta la Ve symphonie de Beethoven, le Rév. Père Legrand, S. J., qui nous fit entendre des Negro-Spirituals et M. Marc Pacco qui expliqua le Ve Concerto de Beethoven. Trois conférences missionnaires furent aussi données au cours de l'année.

Les relations avec les parents furent renforcées par le moyen de deux causeries données par M. le Principal Carlier et qui groupèrent chaque fois plus de 120 personnes. Les sujets traités en étaient : «Qu'attendent les familles du Collège ? Qu'attend le Collège des Familles ? » et « L'éducation en vacances ».

La Gestapo, toutefois vint troubler dramatiquement les vacances de Noël. Le 2 janvier 1942, une troupe de gestapistes et de soldats envahirent le Collège et perquisitionnèrent longuement dans les locaux occupés par les Rév. Pères Jésuites. Ce n'était pas leur première visite mais cette fois il ne s'agissait plus d'une alerte. Ils se retirèrent le soir après avoir apposé les scellés sur la bibliothèque et divers locaux et en emmenant à Saint-Gilles les Rév. Pères Monot, recteur, et Wilmé auxquels ils avaient fait subir un injurieux et brutal interrogatoire. Hélas ! le P. Wilmé. si bon pour nous et qui détestait si profondément nos envahisseurs, ne devait plus revoir le Collège. Le 19 mars, nous apprenions sa mort en prison tandis que le Rév. Père Monot était condamné à plusieurs mois d'internement.

Le 27 février, les bâtiments du Pavé d'Ath, étant momentanément vides de troupes, nous étaient rendus. Le 28 avril, les classes y reprenaient pour le 3e trimestre, tandis que logement, cuisines et réfectoires étaient maintenus à la rue des Augustins. Cette rentrée partielle au Collège après deux ans d'exclusion fut marquée par une messe solennelle. Beaucoup d'élèves — tous les nouveaux depuis 1940 — ne connaissaient pas encore leur maison. M. l'abbé Jeanty, par une entrée prestigieuse sur les grandes orgues de la chapelle, nous donna l'impression physique qu'en rentrant chez nous, nous reprenions une oeuvre aussi grandiose qu'harmonieuse. A l'Evangile, M. le Principal rappela que toute oeuvre féconde suppose des épreuves, des échecs apparents suivis de patientes et fidèles reprises et de continuels recommencements aussi bien dans l'histoire du Collège que dans celle de l'Eglise et de la Patrie.

Le 19 mars une déplaisante lettre de la Kommandantur de Mons, réponse à une demande qui avait été faite, interdisait aux professeurs de récupérer quelques-uns de leurs meubles enlevés du Collège par les soldats et amenés en ville dans des locaux occupés par les troupes. Ces meubles devaient rester à la disposition de l'armée occupante. Inutile de signaler qu'au départ des troupes du Collège, fin février, nous n'avions retrouvé absolument rien sinon les murs ! et encore dans quel état de désordre et de malpropreté se trouvaient les divers locaux !

Le 14 mai, jour de l'Ascension, alors que l'on célébrait la cérémonie de la Communion solennelle, la mort frappait un de nos vieux serviteur, notre portier, Restitude Cardinal. Vieille figure populaire connue de toute la ville, il s'était fait profondément estimer au Collège par sa droiture et par son dévouement à notre maison. Sorti le dernier du Collège le 28 mai 1940 lors de l'expulsion, il avait, bien que déjà gravement malade, revendiqué l'honneur de venir ouvrir lui-même solennellement les portes de la chapelle pour l'entrée des élèves le 28 avril 1942, lors de la reprise de possession des bâtiments.

Le 15 mai nous eûmes l'honneur de recevoir la première visite officielle de Son Exc. Mgr Delmotte, évêque de Tournai et ancien élève. Monseigneur voulut bien nous consacrer une journée entière et conférer le sacrement de Confirmation à treize des nôtres dans la chapelle du Collège.

La Fête-Dieu fut célébrée solennellement et selon la tradition. Chaque classe mit son point d'honneur à faire de la procession qui se déroula dans les cloîtres et les jardins des Rév. Pères lésuites, une manifestation de foi éclatante et une exposition de décors floraux du goût le plus sur.

Le 16 juillet, enfin, tout le Collège se rendit à Hal pour accomplir le pèlerinage traditionnel à Notre-Dame et la remercier de cette nouvelle année heureusement achevée. Malgré la guerre et les difficultés du ravitaillement, résolues par des prodiges d'ingéniosité et de dévouement, malgré les rigueurs de l'hiver et l'irrégularité des communications, ce fut une année presque normale pour l'essentiel du travail du Collège : l'éducation et les études. Nous pouvions en remercier la Providence et tous ceux dont elle s'était servie.

 

L'année scolaire 1942-1943

 

Le 9 septembre ramène la rentrée de l'année scolaire 1942-1943. Nombre d'élèves fortement accru. Le manque de places nous a obligés à refuser pas mal d'inscriptions. Au total 334 élèves — donc une soixantaine de plus qu'en 1941. Deux cents externes et cent trente quatre internes. Pour loger ces derniers il nous a fallu envahir encore quelques salles, que nous ont d'ailleurs cédées bien aimablement les Pères Jésuites. Les grands élèves ont leur logement en ville chez des particuliers. Ils arrivent le matin au Collège et en repartent le soir à 8h30. Inutile de dire que les bénéficiaires du régime apprécient fort leur appartement « extra muros » et les promenades régulières qu'il comporte. D'autre part nourrir ce grand nombre de personnes reste un gros problème : le ravitaillement, toujours abondant, sera un tour de force de notre économe, M. l'abbé Leleux. Il est facilité dans une certaine mesure par l'apport des élèves qui peuvent retourner en famille fréquemment et en rapportent de copieux suppléments. Par crainte de mourir de faim, il en est même qui mangent plus qu'en temps normal !

Le nombre d'élèves nous permet de rétablir la 9e préparatoire et la 1re scientifique. M. Georges Werbrouck, ancien élève, candidat en sciences mathématiques, professeur laïc au Collège depuis plusieurs années, est chargé de la 1re. Deux nouveaux professeurs prêtres nous ont été envoyé : M. l'abbé Joseph Roger, comme titulaire de la 4e moderne et M. l'abbé Christian Lenain comme surveillant.

Les classes sont reprises dans les bâtiments du Pavé d'Ath ; elles y resteront jusqu'au 15 novembre. A cette date, en raison du manque de combustible, les bâtiments seront de nouveau abandonnés durant l'hiver. Des troupes d'occupation viendront d'ailleurs s'y installer bientôt durant plusieurs mois.

Fin décembre, M. l'abbé Orban, qui depuis de longues années donnait les cours de français et d'histoire dans les classes supérieures, est nommé professeur d'économie politique à l'Institut supérieur de Commerce de Mons. Il est remplacé par un professeur laïc, M. Jean Ubaghs.

Le 15 mai 1943, nous reprenons les cours du 3e trimestre dans les locaux du Collège. Cependant nous n'y serons pas longtemps seuls. Le Collège est bientôt réquisitionné pour servir de caserne. On nous laisse l'aile des classes sauf les dortoirs le long du Pavé de Soignies, tandis que tout le reste des bâtiments est occupé par des recrues. Cette cohabitation peut agréable demeure toutefois sans incidents et dans la mesure du possible nous évitons les contacts avec l'occupant. Nos élèves peuvent ainsi admirer... le dressage brutal auquel est soumis le soldat allemand !

Cour et corridors sont utilisés pour les exercices et même les dortoirs lorsque le temps est trop mauvais. Au-dessus de nos têtes, résonnent sur les planchers les coups de bottes et de crosses de fusils ; les soldats courent, vont et viennent à ébranler le bâtiment. Vraiment faudra-t-il s'étonner que les planchers des dortoirs, complètement usés, aient dû être refaits !

Cependant les mesures allemandes concernant le travail forcé des jeunes gens commencent à nous ennuyer sérieusement. En attendant des dispositions spéciales, un arrêté de Reeder, daté du 6 mars, dispensait provisoirement les élèves des établissements d'instruction. Cette dispense était confirmée par une lettre du chef de l'administration militaire adressée au Ministère de l'Instruction publique, lettre que nous citons ci-après et communiquée aux Collèges par le Directeur de l'Enseignement moyen :

 

« Bruxelles, le 13 mars 1943.

Au Ministère de l'Instruction Publique. Bruxelles.

Objet: Mise au travail des élèves des athénées et écoles normales.

Les élèves qui, en vue de leur formation régulière, fréquentent des athénées (instituts, collèges, etc.) ou des écoles normales, ne seront pas appelés provisoirement au travail obligatoire avec la classe des jeunes gens de même âge.

Pour le Commandant militaire pour la Belgique et le Nord de la France :

Le Chef de l'Administration militaire. »

 

Nous pouvions, semblait-il, être momentanément tranquilles et nous en profitâmes pour accueillir quelques jeunes gens normalement non exemptés mais menacé par les arrêtés sur le travail et que nous inscrivîmes comme élèves réguliers du Collège.

De nouvelles mesures, toutefois, suivirent bientôt en juin et juillet réclamant la liste des élèves dont les études allaient se terminer avec l'année scolaire. Il n'était pas question évidemment pour nous de les fournir. Conflit inévitable avec l'autorité allemande. Les formulaires envoyés à M. le Principal par le Service du travail de La Louvière dont nous dépendions furent ou bien simplement ignorés ou renvoyés avec une fin de non recevoir. Durant le mois de juillet des fonctionnaires allemands de ce service se présentèrent à plusieurs reprises au Collège demandant à voir M. le Principal. Chaque fois, ils furent renvoyés en prétextant l'absence du chef de la maison. L'alerte était sérieuse et d'urgence nous renvoyâmes chez eux les rhétoriciens et les élèves âgés de plus de dix-huit ans en précipitant les examens. Nous jugeâmes aussi plus prudent de « liquider » toute la communauté trois jours avant la date prévue pour les vacances et en supprimant le pèlerinage à Notre-Dame de Hal.

Le 28 juillet une lettre du Ministère, Office de l'Enseignement technique, adressée à l'Ecole d'agriculture nous confirme dans notre opposition. La voici :

 

« Office de l'Enseignement technique.

Bruxelles, le 26 juillet 1943.

Conformément à la clécision prise par les Secrétaires Généraux de ne pas collaborer d'une manière quelconque aux ordonnances allemandes sur le travail obligatoire et de ne fournir aucune liste à cette fin, il n'y a pas lieu de remettre à l'autorité allemande les listes d'élèves que celle-ci demanderait.

J'ai fait une démarche pressante auprès de l'autorité allemande pour qu'elle renonce à demander et même à réquisitionner ces listes.

Le Secrétaire général, Président de l'Office de l'Enseignement techniqu

M. NYNS. »

 

Ainsi notre attitude, qui s'imposait devant notre conscience et devant la confiance des parents, était de plus confirmée en haut lieu. Toutefois les Allemands ne se tenaient pas pour battus et le 31 juillet, accompagnés de feldgendarmes, ils se représentaient encore à la rue des Augustins exigeant les listes immédiatement.

M. le Principal était encore absent, mais réellement cette fois. Furieux contre ce Directeur, fantôme insaisissable, et comprenant que nous leur jouons la comédie, nos boches attendent un moment, songent à forcer la porte fermée du bureau de M. Carlier pour y perquisitionner. Finalement ils renoncent à user de violence. Une perquisition aurait été vaine : toutes les listes avaient été déposées en lieu sûr, hors de la maison, y compris les listes et copies d'examens de la classe de rhétorique. Les émissaires de la Werbestell se retirent pour revenir après quelques heures et M. le Principal n'était pas encore rentré. Cette fois, la patience de nos oppresseurs est à bout : ils s'en vont avec cette menace grave et qui doit nous faire céder, pensent-ils : « Si dans les deux jours M. le Principal ne se présente pas en personne à la Werbestell de La Louvière, il sera arrêté ou, en cas de nouvelle absence, les professeurs présents dans la maison. Cette fois, il faut prendre ses responsabilités. M. le Principal n'a pas un instant d'hésitation. Il accepte stoïquement l'inévitable, prend ses dispositions, prépare sa valise — car il sait bien ce qui l'attend. Accompagné du Préfet des Etudes, le 2 août il se présente à la Werbestell. Longue discussion avec le Directeur allemand assez ennuyé de se heurter au refus catégorique de M. Carlier. Avec une délicatesse et une loyauté toute germaniques, il lui propose un moyen détourné qui, pense-t-il, lui obtiendra les listes, tout en évitant à M. le Principal de les donner ! « Mettez les listes dans un tiroir de votre bureau, fermez-le, puis partez en vacances. Nous viendrons perquisitionner et de cette façon nous obtiendrons satisfaction tandis que vous serez à couvert devant vos supérieurs et devant les parents. » Naïveté d'un officier boche qui, après trois ans d'occupation, avait encore de pareilles illusions sur la conscience d'un Belge et d'un prêtre ! M. Carlier rejette avec mépris cette basse proposition. Le boche est bien ennuyé et n'ose encore agir. Coup de téléphone à ses chefs de Bruxelles. La réponse est brutale. « Si l'on continue à refuser les listes, procédez à l'arrestation immédiate. » Nouveau refus de M. le Principal qui est mis aussitôt en état d'arrestation et amené à la feldgendarmerie voisine. Le préfet des études, M. Reumont, est autorisé à s'entretenir encore avec lui, puis ce sont les adieux et M. Carlier est conduit sous la garde — assez paterne d'un feldgendarme à la prison de Mons. Grâce à Dieu, il ne devait y faire qu'un très court séjour. Le 4 août, devant le refus généralisé des autres Directeurs de Collèges et Préfets d'Athénée, unis dans la même résistance à l'ennemi, les boches adoucissaient — pour un temps — leurs méthodes et ouvraient les portes de la cellule de M. le Principal qui nous revenait, entouré de la sympathie des parents d'élèves et des gens de la ville.

Toutefois si l'obstination teutonne s'était heurtée inexorablement à un refus des listes, elle ne lâchait pas pour autant nos jeunes gens et, au cours du mois d'août, rappelait avec instance les mesures concernant les étudiants. Nous croyons intéressant pour l'historique de la résistance belge sur le plan scolaire de citer ce document adressé au ministère de l'Instruction Publique et communiqué aux établissements d'instruction le 13 septembre par M. le Secrétaire général Nyns.

 

« Le Commandant Militaire pour la Belgique et le Nord de la France. Kult-Schul 820.

Le 11 août 1943.

Au Ministère de l'Instruction Publique Bruxelles

Objet : Levée des élèves et étudiants astreints au travail obligatoire.

Des doutes se sont faits jour touchant l'appel des élèves et étudiants astreints au travail obligatoire en vertu de l'ordonnance du 28-6-1943 prise en vue d'assurer la couverture des besoins en main-d'œuvre pour les travaux d'une importance spéciale. (!!) Voici quelques directives pour élucider les cas douteux :

« Les élèves des athénées, collèges et établissements d'enseignement moyen similaires reconnus, ceux des écoles normales reconnues, ainsi que ceux des écoles techniques de plein exercice ne sont provisoirement pas rappelés avec leur classe au travail obligatoire, aussi longtemps qu'en vue de leur instruction régulière, ils fréquentent une des écoles précitées et n'ont pas suivi l'examen de sortie. Ils sont toutefois appelés dès qu'ils ont subi l'examen de fin d'études,

« Le sursis provisoire d'appel au travail obligatoire, qui lui est accordé en conséquence, expire quand, après avoir achevé ses études, un élève veut passer à un cours d'enseignement complémentaire qui développe, complète et spécialise la formation scolaire qu'il a reçue jusqu'à présent. Bien plus, de tels élèves sont appelés au travail obligatoire avant qu'ils ne commencent de tels (sic) études, qui doivent développer, compléter et spécialiser leur formation scolaire. Il s'ensuit donc par exemple, que les élèves sortis d'une école normale primaire et désireux de faire les études de professeur d'école moyenne, ou les élèves sortis de la classe de rhétorique (humanités anciennes) et désireux de suivre encore la classe de première scientifique (humanités modernes) peuvent en vertu de l'ordonnance susvisée être appelé au travail obligatoire, avant le début de ces études complémentaires. »

 

Cette ordonnance était bien claire et visait nettement l'expédient consistant pour les rhétoriciens sortants à faire la première scientifique pour échapper au travail. En dépit de ce décret, à notre rentrée de septembre, nous inscrivions régulièrement pour la première scientifique et l'école d'agriculture un certain nombre d'élèves qui avaient terminé leurs études moyennes et quelques-uns même depuis un bon laps de temps déjà ! Peu d'ordonnances de l'ennemi ont été sabotées autant que celle-là et l'on peut affirmer que nos établissements d'enseignement ont bien mérité de la Patrie,

 

L'année scolaire 1944-1945

 

L'occupation militaire qui, malgré la libération, se continuait au Pavé d'Ath, devait considérablement gêner notre rentrée 1944-45. Celle-ci s'annonçait excellente mais le 22 septembre, M. le Principal se voyait forcé d'adresser aux parents la circulaire suivante :

 

« Les bâtiments du Collège sont entièrement réquisitionnés par les Forces Alliées. Nous avons le regret de devoir vous informer en conséquence que nous ne pourrons recevoir votre fils comme interne le 2 octobre prochain. »

 

Les classes recommençaient donc au début d'octobre 1944 à la Maison de la Rue des Augustins avec 148 internes et 248 externes. Le corps professoral avait subi quelques modifications. M. Georges Werbrouck qui abandonnait l'enseignement était remplacé en première scientifique par M. l'abbé Jean Knauff, M. l'abbé Gérard Deffrennes venait professer le français dans les classes supérieures de modernes et l'histoire, M. l'abbé R. Thésin et M. l'abbé A. Clément qui passaient dans le ministère paroissial, étaient respectivement remplacés par MM. les abhés V. Froyman et R. Hocedez. Aux vacances de Pâques, M. l'abbé Alfred Delwart, professeur de 4e latine devait être promu professeur de poésie à Bonne-Espérance et M. l'abbé Suys, professeur de 6e latine depuis 1938, reprenait sa succession.

Cette nouvelle année s'écoula pour la vie même du collège à la rue des Augustins sans événements bien saillants. Notons cependant que nous donnâmes asile au troisième an de noviciat des Pères Jésuites de la Province belge. Par suite de l'immobilisation de leur noviciat d'Arlon occupé par l'armée, les Jésuites belges se trouvaient fort embarrassés. Ils ne craignirent pas de demander un peu de place à la Maison Saint-Augustin d'Enghien et c'est bien volontiers que nous nous serrâmes pour les accueillir. Nous vécûmes ainsi pendant dix mois, côte à côte, près de cette communauté, nouant avec les Pères des relations pleines de cordialité. Les Pères dont la plupart avait déjà exercé le professorat dans un Collège de la Compagnie étaient d'ailleurs fort intéressés de suivre et d'observer la vie quotidienne de notre collège de prêtres diocésains. Tout en rendant hommage au sérieux des études et à la stricte discipline de la maison, ce qui les frappa surtout, ce fut l'extrême simplicité et la familiarité des relations entre professeurs et élèves. Fin juin, les Pères nous quittaient et par une lettre du 9 juillet le Rév. Père Provincial remerciant M. le Principal pouvait lui écrire :

 

« Chez nos Pères, à commencer par le Père Instructeur, l'impression de large hospitalité et d'accueil fraternel ressentie dès le début, alla s'accentuant au cours de ces dix mois... S'ils emportent d'Enghien et de leur Troisième an un souvenir si heureux, la grande part en revient à la Direction du Collège St-Augustin. Et le séjour improvisé des Tertiaires dans les murs du vieil établissement, pendant la période où Arlon restait inutilisable pour eux, ajoute un épisode à l'histoire déjà longue et fort consolante, des excellents rapports qui régnèrent toujours entre le diocèse de Tournai et les Jésuites. »

 

De notre côté, nous gardons, nous aussi, un excellent souvenir de ce contact plus intime avec les Pères dont la discipline du noviciat fut souvent pour nous l'objet d'édifications.

Cependant nous lions des relations avec les troupes anglaises du Collège. Elles se manifestent par des rencontres sportives avec nos élèves. Ceux-ci ne sont pas toujours battus malgré leur jeunesse et leur manque d'entraînement, à preuve, ce match de football du 21 novembre qui fut gagné par les élèves par cinq buts à trois. A cette occasion un élève de Poésie, André Wielant, sortit son meilleur anglais pour adresser au nom des élèves, ses souhaits de bienvenue aux tommies.

Nous atteignons sans encombre la fin de l'année scolaire. Les rhétos reprennent leurs traditions d'avant-guerre. Journée sportive, olympiades St-Augustin, séance récréative, enterrement de Madame Rhétorique auquel participe la fanfare d'Enghien qui nous gratifie à cette occasion d'un fort beau concert. La séance de distribution des prix est organisée à la Salle des Fêtes du Collège le 19 juillet au matin. Les anglais veulent bien... la mettre à notre disposition pour la circonstance et leur orchestre militaire se charge de la partie musicale. La pièce jouée par les élèves — La Dépêche de Minuit, drame moderne en 3 actes — et la musique militaire remportent un gros succès.

 

L'année scolaire 1945-1946

 

Voici encore une fois les vacances et encore une fois la rentrée et nous sommes toujours au vieux Collège ! C'est la sixième année scolaire qui y recommence, sera-ce enfin la dernière ? Nous voudrions beaucoup rentrer chez nous et rendre leur maison aux Rév. Pères Jésuites français qui bientôt en auront besoin.

Par suite de la grave épidémie de poliomyélite, la rentrée fut retardée jusqu'au 24 septembre. Les vacances avaient amené un véritable bouleversement dans le corps professoral. Départ de M. Demeure — après dix-sept ans, — nommé curé de Silly, remplacé en syntaxe par M. Deffrennes dont M. Hocedez reprend les cours. Départ de M. Roger, obligé, par son état de santé, de quitter l'enseignement. Arrivée de M. les abbés R. Deliorge en VIe latine, de M. Van Herck en Ve latine et de M. A. Lombaert comme maître d'étude. Mais surtout un départ imprévu frappait durement le Collège, celui de M. le Principal Carlier que Son Exc. Monseigneur l'Evêque de Tournai se choisissait comme Vicaire général. Depuis 1939, M. Carlier était le pilote énergique qui avait fermement tenu le gouvernail à travers vents et tempêtes. A la veille de la renaissance du Collège, ce coup nous atteignait cruellement. 11 était remplacé par M. l'abbé Van Nuffel, professeur de Ve latine, au Collège depuis 1938. A lui allait incomber la tâche difficile de restaurer nos bâtiments du Pavé d'Ath, d'y établir la nouvelle communauté d'élèves en liaison avec l'esprit du passé.

Au cours de l'année M. Jeanty, doyen d'âge du corps professoral, professeur depuis 1923, dévoué aux classes modernes, nous quittait pour la cure de Ghislenghien.

Nous recommencions cette année 1945-46 avec un total de 402 élèves, soit 184 internes et 218 externes. En raison du manque de places nous ne pumes admettre d'internes en préparatoires — ce qui amena la suppression d'une septième — et nous dûmes refuser — malheureusement — environ cent cinquante internes !

A la fin du premier trimestre, nous arrive enfin la décision attendue depuis si longtemps : les troupes alliées ont quitté définitivement le collège et le 29 décembre les bâtiments nous étaient officiellement remis. Ainsi l'année 1946 sera celle de notre retour au Pavé d'Ath. Comme nous l'avons dit dans un précédent article, les travaux furent entrepris aussitôt. Dès le mois de janvier, les ouvriers se mettaient à l'oeuvre et réalisaient pour la fin de juillet un véritable tour de force. Période d'activité fiévreuse. Les Rév. Pères Jésuites nous avaient exprimé le désir de retrouver la libre disposition de leur maison pour le 1er août au plus tard. Nous allions donc devoir rentrer au Pavé d'Ath, dans un immeuble occupé par tous les corps de métiers, presque sans escaliers utilisables et à peine en état de loger les professeurs. Tour de force qui fut réalisé.

Le 16 juillet à midi, les examens finissaient. Les grands élèves sont réquisitionnés et commencent le chargement dans des camions qui, durant plusieurs jours, vont et viennent entre les deux maisons. Le 17, Olympiades annuelles dans les jardins de la rue des Augustins, et le 18, distribution solennelle des prix en la salle des fêtes du Collège. Avec un brio, qui fit l'admiration des spectateurs, les élèves jouent « L'Avare » de Molière. Puis départ en vacances.

Le 20 juillet, quelques professeurs reprennaient possession de leurs appartements, le 25, logement et cuisines étaient réinstallés dans nos murs et le déménagement pratiquement terminé.

Ainsi était close cette unique et longue période de l'histoire du Collège, ouverte le 28 juin 1940. La Providence et ses instruments visibles, les Rév. Pères Jésuites français, avaient été bons pour nous, nous avions pu — non seulement vivre dans les conditions les plus favorables — mais continuer heureusement notre oeuvre d'éducateurs, La Maison de la rue des Augustins était vraiment devenue notre maison où jamais nous ne nous sentîmes des intrus ni même des étrangers. Ceux qui y ont vécu ces six années, ceux qui y ont éprouvé les angoisses et les inquiétudes, les difficultés et les consolations, les tristesses et les joies de l'occupation et de la libération, ceux qui y ont lutté quotidiennement pour prémunir notre jeunesse contre l'emprise nazie garderont de ces vieux murs et de la fraternelle hospitalité des Pères et des Frères un souvenir qu'ils n'oublieront jamais.

Que grâce en soit rendue à Dieu et à vous-mêmes mes Révérends Pères.

 

Tiré de Heri et Hodie - Revue du Collège Saint-Augustin - Ch. Reumont - Six années au « Vieux Collège ».

 

 

 

 

 

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