A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
Samedi 6 mars 1963
Pour la seconde fois, la réunion annuelle des Anciennes et Anciens s’est déroulée un samedi soir, selon une formule alliant tradition et nouveauté. Après la messe et l’assemblée générale, c’est dans la salle des fêtes du Collège que tous se sont retrouvés autour d’un buffet de choix avant d’entamer la soirée dansante.
Au nom des jubilaires de 50 années de sortie, le colonel honoraire Jacques Siraux a tenu à évoquer ce qu’avaient été ses dernières années de Collège passées dans les remous de la Seconde Guerre mondiale.
Me faisant le porte-parole des Rhétoriciens de 1943, j'ai voulu rapidement retracer ce que fut notre Rhéto. Des treize que nous étions alors, nous restons aujourd’hui à onze; pour nos deux amis décédés, Emile Beeckmans et Jean Cuvelier, durant la Messe, nous avons eu une pensée émue.
Rhétoriciens de 1943, nous sommes des plus anciens parmi les Anciens, mais nous restons jeunes dans le sens défini par le Général Mac Arthur, qui disait :”On reste jeune aussi longtemps qu’on garde la jeunesse du cœur, de l’esprit et son idéal.”
Voici tout d’abord brièvement le contexte dans lequel se sont déroulées nos Humanités, commencées en 1937.
Jusqu’au 10 mars 1940, nous avons vécu dans ce Collège les événements qui ont précédé l’attaque de la Belgique par les Allemands. L’évocation rapide de quelques dates et noms de pays réveillera en nous des souvenirs :
- 1938, Autriche et Tchécoslovaquie;
- 1939, Pologne et déclaration de la guerre à l’Allemagne par la France et la Grande-Bretagne;
- 1940, Norvège et Danemark; le 10 mai, les Allemands attaquent la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et lancent une grande offensive contre la France et les Forces, britanniques qui s’y trouvaient.
Le 10 mai 40, notre 4e latine est interrompue et nous nous dispersons dans différentes directions, dont le Midi de la France. Le 28 mai 1940, pour l’Armée belge, c’est la fin de la campagne des dix-huit jours.
En septembre 1940, nous entamons la Syntaxe à la Maison des Augustins, le “Grand Collège” étant utilisé par les Allemands pour héberger des prisonniers de guerre alliés, des blessés notamment.
A la Maison des Augustins, nous resterons jusqu’à la fin de notre Rhétorique en juin 1943. Notons que notre ami Jean Cuvelier et moi-même y resterons jusqu’à la fin de notre 1re scientifique en juin 1944.
Le 21 juin 1941, les Allemands attaquaient l'URSS, le 7 décembre 1941, le Japon détruisait par surprise la Flotte des Etats-Unis à Pearl Harbour avec pour conséquence l’entrée des Etats-Unis dans la guerre. Jusqu’en 1942, les Allemands et les Japonais avançaient partout sur leurs fronts respectifs, les premiers sur les fronts européen et africain, les seconds sur le front du Pacifique.
Au cours de notre Poésie et de notre Rhétorique, les Alliés remportèrent trois grandes victoires qui marqueront le tournant de la guerre, à Stalingrad sur le front russe le 2 février 1943, à El Alamein sur le front africain le 23 octobre 1942 et à Midway sur le front du Pacifique le 5 juin 1942.
Pour caractériser l’ambiance de notre sortie de Rhétorique fin juin 1943, je citerai une phrase de la lettre adressée par mon ami, l’abbé René Moulin, le 15 février aux Rhétoriciens 1943 pour les engager à participer à la réunion d’aujourd’hui. “Souviens-toi, il y aura bientôt cinquante ans, notre Rhéto se terminait brusquement par un semblant d’examen de version latine. Le Principal, Monseigneur Carlier, nous pressait de quitter le Collège (la Maison des Augustins) pour échapper aux Allemands. Sur un appui de fenêtre, un avis mortuaire improvisé : “Madame Rhétorique est décédée inopinément. Ses funérailles ont eu lieu dans l'intimité.” En cette fin de Rhétorique, nous étions tous astreints par les Allemands au travail obligatoire; nous y avons tous été réfractaires avec les risques que cela comportait.
Après la description du contexte dans lequel se sont déroulées nos Humanités, j’évoquerai brièvement et certes incomplètement ce que le Collège nous a donné. Tout d’abord une formation intellectuelle très approfondie, l'art de penser correctement, un jugement sûr, le souci de développer constamment sa culture générale, le culte du Beau, le sens artistique.
Sans qu'il y ait un ordre d’importance dans cette énumération, je soulignerai une formation spirituelle et morale à toute épreuve. Nos réunions de la JEC dans l’Action Catholique ont été d’excellentes occasions de réflexion et de méditation sur notre foi.
Des notions telles que sens des responsabilités, sens de la solidarité, qui consiste surtout à faire régner le bonheur et la joie autour de soi, ont pris toute leur signification, pour certains dans le sacerdoce et pour les mariés dans la vie familiale, où, à ce moment des cinquante ans de sortie de Rhétorique, ils essaient de bien mettre en oeuvre les conseils donnés par Victor Hugo dans son Art d'être grand-père.
Nous avons compris l’importance de la volonté, de la persévérance, de la ténacité, de l’enthousiasme, de la fidélité à son idéal, d’être un chic type dans toutes les facettes de la vie et notamment dans la vie professionnelle.
Nous avons reçu du Collège un capital de principes qui nous permettent de garder toujours le bon cap au cours de cette traversée qu’est la vie. Le courage, le patriotisme, le sens civique nous ont été enseignés surtout sous la forme de l’exemple par notre Principal, Monseigneur Carlier, par le corps professoral, par nos anciens du Collège, qui ont servi le pays comme aumôniers militaires, officiers et sous-officiers d’active et de réserve, miliciens, résistants et en particulier par ceux qui ont fait courageusement le sacrifice de leur vie pour la Patrie. Je citerai Monsieur Nien, notre professeur d’histoire, au cours de la campagne des dix-huit jours et Jacques d’Hendercourt de la Rhétorique 1942, dans la Résistance.
Après ce bref aperçu de ce que le Collège nous a apporté, je souhaiterais insister une fois encore sur tout ce que nous devons à nos professeurs d’humanités. Et aux remerciements qu’au nom de tous mes anciens condisciples je leur adresse, je souhaiterais associer le Collège actuel, Monsieur le Principal et les membres du corps professoral, leurs successeurs qui ont repris le flambeau.
En terminant, je voudrais formuler un dernier souhait : celui de nous revoir le plus souvent possible à l’occasion de ces réunions annuelles, en commençant par celle de l’an prochain, jubilé de cinquante ans de sortie de 1re scientifique de mon ami Jean Cuvelier et de moi-même. Et pourquoi pas en 2003, pour notre jubilé de soixante années de sortie de Rhétorique.
Jacques Siraux, Colonel honoraire.
Source : Heri et Hodie - Août 1993 - Périodique bimestriel n° 3 - Centre d'Enseignement Secondaire Catholique Saint-Augustin, de l'Association Royale des Anciens Elèves du Collège Saint-Augustin et des Anciennes Elèves de la Maison Saint-Augustin - pp. 15-17.