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A la découverte d'Enghien par d'autres chemins

La messe et le bistrot

 

On sait qu'au XVIIe siècle, Enghien et ses environs comptaient pas mal de cabarets et tavernes. La vie sociale de l'époque conférait à ces lieux bien d'avantage d'importance qu'ils n'en ont aujourd'hui. Non seulement la consommation de vin et de cervoise y était en vigueur mais diverses associations y tenaient leurs réunions quand ce n'était pas le lieu de transaction des marchands, des fermiers ou même en l'absence d'hôtel ou de maison de ville, les assises des échevins ou d'un pouvoir local.

Cette part importante de la vie sociale de l'ancien régime devait bien entendu être sérieusement règlementée.

Les impositions locales, accises et maltôtes, étaient définies par le magistrat de la ville et donnaient lieu à diverses contestations, en particulier pour les cabarets situés hors les murs. C'était le cas pour l'auberge de la Fleur de lis et celle du Vert Galand. On ne sait trop d'ailleurs si la réputation de cette dernière se limitait à la qualité de son comptoir mais également aux jolies filles que l'on y trouvait !

Nous avons encore les traces, certaines remontant à l'époque médiévale, d'autres plus proches de nous, de plusieurs de ces estaminets. Le cabaret de la Bourse au hameau de Stamont près de Hoves, le Canard, le Purgatoire à la chaussée romaine ... Quant à l'actuel quartier Val-Lise, il trouve l'origine de son nom au cabaret La Valise, sur le grand chemin d'Enghien à Bruxelles.

Le pouvoir supérieur édictait, lui aussi, des chartes applicables à tous les lieux de boissons du Comté. Les Chartes du Comté de Hainaut, publiées à la suite de l'audience tenue à la Cour Souveraine à Mons le Lundi neuvième Décembre seize cens dix neuf décidaient l'ensemble des règles et lois à respecter par tout habitant de la principauté.

En particulier, le chapitre 23 des dites Chartes traite du Non aller aux tavernes et cabarets sans payer, ny durant la Messe et Vespres. Jugeons-en :

Suivant les Placcarls & ordonnances de nos Predecesseurs cy-devant publiez, nul ne pourra aller es tavernes & cabaretz pour y boire & manger, s'il ne paye argent comptant, ou laisse gage de la valeur, qu'il auroit despendu, sur peine de dix patars (1) d'amende.
Et si ne pourront aller durant la Messe Parochiale & Vespres, sur encheoir en trente patars
d'amende, tant ceux qui y seroient trouvez, comme l'hoste et l'hostesse qui les assiroient. Bien entendu, que les curez diront la Messe & Vespres à heures limitées par le Synode ; & ne se leveront lesites loix pour passagers, ny autres qui en seront esloignez plus d'une lieue.

C'est le lundi 19 décembre 1619 que les chartes dont il est ici question ont été édictées par la Cour Souveraine de Mons, instance suprême de la justice des Pays-Bas dans le Comté de Hainaut, sur ordonnance du pouvoir princier de l'époque par la voix du grand bailli de Hainaut, le Comte de Bucquoy (2).

Ce sont alors les archiducs Albert et Isabelle qui, se référant aux Chartes et Coutumes du Pays et Comté de Hainaut édictées le 15 mars 1533 sous le règne de Charles-Quint, estiment utile de revoir ces textes vieux de près d'un siècle pour les adapter et les commenter de manière à en faciliter l'application et en tenant compte de l'évolution de la société.

Isabelle (1566-1633), infante d'Espagne, petite-fille de Charles-Quint, sœur du roi d'Espagne Philippe III († 1621), unie à l'archiduc Albert d'Autriche (1559-1621) fut souveraine des Pays-Bas de 1598 à 1621 et gouverneur depuis cette date jusqu'à son décès en 1633. Les archiducs, outre leurs titres hérités des Habsbourg dont celui de ducs de Bourgogne portent également les titres de leurs principautés, dont le Comté de Hainaut.

Le texte du chapitre 23, énoncé ci-dessus, va bien au-delà de l'interdiction de fréquenter les cabarets pendant l'office religieux. Il précise avant tout qu'on ne peut y laisser des dettes : il faut payer comptant, sans doute pour éviter les excès, l'ivrognerie mais aussi la dilapidation du maigre patrimoine du consommateur.

Quant à la messe paroissiale et aux vêpres, elles ne peuvent être délaissées au profit du bistrot sous peine d'amende, non seulement pour le contrevenant mais aussi pour le tenancier. Non seulement les Enghiennois mais les étrangers à la ville sont concernés par l'interdiction. Seule consolation pour les assoiffés du dimanche : le curé devait respecter un horaire précis et ne pouvait célébrer que les offices prescrit par le synode.

Outre cette intervention particulière des archiducs par le biais de Chartes de 1619, quel que soit l'évolution du pouvoir dans nos provinces, ce dernier fut aussi concerné par les aspects fiscaux liés à la production, le transport et la consommation de la bière et du vin.

En témoigne le Règlement pour la ville d'Enghien édicté par le pouvoir impérial en 1768. Manifestement, Charles de Lorraine, gouverneur des Pays-Bas de l'époque, ne laissait pas au magistrat ou au Conseil de Ville d'Enghien la liberté de définir qui était brasseur, quelle taxe il fallait percevoir sur la production ...


Daniel Soumillion

 

(1) A titre indicatif quant au niveau de cette amende, onze patars équivalait approximativement au salaire d'un ouvrier pour une journée et demie de travail. La monnaie se divisait comme suit : la livre ou florin valait 20 sous ou patars ; un sou valait douze deniers.
(2) Charles de Longueval, comte de Bucquoy (1570-1621), nommé grand bailli de Hainaut en 1613, garda sa charge jusqu'à son décès. Admis à l'ordre de la Toison d'Or en 1604, le comte de Bucquoy fut aussi un grand militaire : il fut nommé capitaine général par Philippe III (1613) et par la suite Maître de camp général des armées impériales et royales en Bohème (1618). Ces hautes responsabilités expliquent l'absence du grand bailli en Hainaut lors du renouvellement des chartes du comté, en 1619.

 

Source : Bulletin du Cercle Royal Archéologique d'Enghien n° 54 - mars 2007 - pp. 1040-1042.

 

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