A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
Anne de Croy, l'hôpital Saint-Nicolas
et la confrérie de la Double Enghien
... et nos testateuts et exécuteurs prendront bien regard que lesdits 2.500 florins
ne soient employez à au/tres chose que n'avons ordonné,
et seront mises nos armoiries en leurdite église et hospital des malades ...
Fait à nostre chasteau d'Enghien le 6 octobre 1634.
Ainsi s'achève l'une des dispositions testamentaires d'Anne de Croy, duchesse d'Arschot, princesse-comtesse d'Arenberg, en faveur des Dames de l'hôpital Saint-Nicolas à la rue des Augustins à Enghien (*).
(*) Sur l'histoire de cette communauté, v. P. DE LATTRE, Les religieuses augustines d'Enghien et l'Hôpital Saint-Nicolas, des origines à 1940, dans A.C.A.E. , t. IX, 1952-1954, pp. 1-48; W. DE KEYZER, Inventaire des archives de l'hôpital Saint-Nicolas à Enghien, A.G.R., Bruxelles, 1976.
Les exécuteurs testamentaires de la duchesse - l'archevêque de Malines Jacques Boonen, le chanoine Josse Bacheler et l'avocat Jacques Rebs - veillèrent au respect de ces dispositions parmi tant d'autres (*).
(*) Y. DELANNOY, Anne de Cray, duchesse d'Arschot, princesse-comtesse d'Arenberg, et la ville d'Enghien, dans A.C.A.E., t. IX, 1952-1954, pp. 49-142.
C'est ainsi notamment que l'église sera restaurée et décorée en 1642 par le portail baroque que nous lui connaissons encore aujourd'hui, et que les armoiries de la bienfaitrice orneront le dessus de la porte d'accès au sanctuaire. De celles-ci, il ne restait plus d'autres témoins que la couronne ducale et les fers
d'attache de l'écusson. Celui-ci a disparu vraisemblablement à la Révolution française.
On sait, en effet, que, peu après la victoire de Dumouriez à Jemappes (6 nov. 1792), le conseil ducal estima opportun de faire ôter les armoiries qui se trouvent dans le château ou autour ou les faire plâtrer, et d'ôter ou de couvrir celles qui sont à la chapelle (*).
(*) A.A.E., SEC., 105, Résolution du 21 janv. 1793.
Les Augustins envisagèrent d'en faire autant des armoiries ducales qui illustraient la façade de leur collège à la rue des Augustins, mais après nouvelle réflexion, ils considérèrent cette mesure inopportune. Ne fallait-il pas craindre, en effet, que les Commissaires du Peuple dont on prévoyait l'arrivée ici le 27 janvier 1793, ne prissent le plâtrage des armoiries comme un indice qu'on attend un autre ordre des choses (*)?
(*) ID., SEC, 165, Résolution du 27 janv. 1793.
Plutôt que d'user d'un camouflage de plâtre qu'il était aisé de racler pour rétablir dès que possible ces emblèmes du pouvoir seigneurial, ne valait-il pas mieux les ciseler et donner par là une meilleure impression d'adhérer complètement, radicalement, irrémédiablement à l'abrogation de tout ce qui relevait de l'ancien régime?
Les Pères n'eurent sans doute pas le temps ni peut-être les moyens ou encore la témérité de s'afficher de la sorte (*), mais, du monastère, la réflexion n'en gagna pas moins le château où l'on se décida à faire marteler les armoiries ducales partout où elles se trouvent, soit au château, soit en ville.
(*) Sur le sort de ces armoiries, v. Y. DELANNOY, Héraldique. Une judicieuse restauration, dans Heri et Hodie, déc. 1992, n° 6, pp. 10-13.
Est-ce en ces jours là qu'on procéda à l'enlèvement du blason d'Anne de Croy ou plus tard par application des lois des 1er août et 14 septembre 1793, 18 vendémiaire et 3 brumaire an II (9 et 24 oct. 1793) rendues applicables en Belgique le 8 novembre 1795, ordonnant la disparition de toutes les armoiries et signes de royauté ou de féodalité dans les églises, monuments publics, maisons, édifices, parcs, etc. (*) ? Mais peu importe ici la date. Tenons-nous en au fait : l'enlèvement du blason d'Anne de Croy.
(*) On notera à cet égard que, sauf les cas où les envahisseurs avaient des amis, ces lois et décrets ont été loin d'être observés. Notamment à Enghien. C'est ainsi qu'ont subsisté malgré tout de nombreuses armoiries décorant tant l'extérieur que l'intérieur des églises locales (Augustins, Béguinage, Capucins, Saint-Nicolas) ou encore certains édifices (Ancien porche du château, rue du Château, et ancienne Maison des Orphelins, rue des Orphelins). V. à leur sujet (Coll.) Enghien, dans Le patrimoine monumental de la Belgique. Wallonie, Vol. 23 ', Province de Hainaut. Arrondissement de Soignies, P. Mardaga, 1997, pp. 260-261, 271, 273, 274-275, 278, 280, 287, 306-307 et 329; Y. DELA NNOY, A propos de la chapelle et du culte de Notre-Dame du Rosaire à l'église Saint-Nicolas d'Enghien, dans A.C.A.E., t. XXXIV, 2000, pp. 137-210.
Et, sans doute, ce portail en serait-il encore dénudé aujourd'hui sans l'intervention de l'un de nos membres, le Docteur Jean-Jacques Marchand, auprès de la Confrérie de la Double d'Enghien dont il est aussi l'un des associés très actifs (*) .
(*) La Confrérie La Double Enghien, a.s.b.l., a été créée le 6 sept. 1984 (A.M.B., 7 sept. 1985, n° 13.169, pp. 5934-5935). V. André VOLMERING, La Confrérie de la Double Enghien. Partage des valeurs intemporelles, dans Hainaut Tourisme, n° 332, juin 2002, pp. 129-136. On connaît le profond attachement du Docteur J.-J. Marchand (° Petit-Enghien, 6 août 1936) à la ville d'Enghien. Il est membre de notre Cercle depuis 1960 et de cette Confrérie depuis le premier chapitre de celle-ci, le 29 septembre 1985. Il figure parmi les fondateurs du Rotary Club d'Enghien (1984).
Après avoir suggéré à celle-ci le placement de bannières à la Grand-Place Pierre Delannoy, puis le remplacement de celles-ci par des enseignes métalliques (*), il lui proposa de faire sculpter les armoiries disparues et de les fixer sous la couronne du portail.
(*) Y. DELANNOY, A la Grand-Place Pierre Delannoy ... Des bannières d'hier aux enseignes d'aujourd'hui, dans A.C.A.E., t. XXXVI, 2001 , pp. 265-275.
L'oeuvre fut confiée au tailleur de pierre M. Jean Bersoux, de Soignies ; la pièce fut placée non sans difficulté le 25 octobre 2002, veille du 19e chapitre de la Confrérie.
On se doit d'en féliciter les acteurs et d'en remercier la Confrérie, plus spécialement le Docteur J.-J. Marchand. Ce fut fait au cours de ce chapitre par le Président du Conseil d'administration de l'A.S.B.L. Oeuvres chrétiennes d'Enghien-Canton, propriétaire de l'ancien hôpital depuis 1992, mais verba volent et scripta manent ... De là ces lignes.
Pour répondre à l'intérêt qu'y portent de nombreuses personnes, voici la description héraldique du blason d'Anne de Croy :
Mi-parti :
- à dextre, équartelé :
aux 1 et 4 : de gueules à trois fleurs de néflier percées du champ, barbées de sinople (Arenberg) ;
aux 2 et 3: d'or à la fasce échiquetée d'argent et de gueules de trois tires (la Marck) ;
sur le tout, équartelé :
A et D : d'or à la bande de gueules (Ligne) ;
B et C : d'argent à trois lions de gueules, armés, lampassés et couronnés d'or (Barbançon );
- à senestre, équartelé :
aux 1 et 4 : d'argent à trois fasces de gueules (Croy) ;
aux 2 et 3 : d'argent à trois doloirs de gueules, les deux du chef adossés (Renty).
Et pour terminer, un mot d'explication au sujet de ces armomes.
Anne de Croy épousa (Beaumont, 4 janv. 1587) Charles prince-comte d'Arenberg (Vollenhoven en Frise, 22 fév. 1550 - Enghien, 18 janv. 1616).
D'où les armes d'Arenberg à gauche (dextre ).
Charles d'Arenberg était le fils aîné de Marguerite de la Marck, princesse-comtesse d'Arenberg, (Reckheim, 15-16 fév. 1527 - Zevenbergen, 18 fév. 1599) et de Jean de Ligne, baron de Barbançon (Barbançon? c. 1525 - Heiligerlee, 23 mai 1568).
Le contrat de mariage de ceux-ci, approuvé par Charles-Quint, stipulait que leurs descendants relèveraient le nom d'Arenberg - ainsi évidemment que leurs armes - venu à s'éteindre par le décès en 1544 de Robert III d'Arenberg (*).
(*) Aug. ROEYKENS, Une grande dame de nos provinces au XV/ème siècle, Marguerite de la Marck, princesse-comtesse d'Arenberg dans A.C.A.E. , t. XV, 1967-1969, pp. 296-424, plus spécialement pp. 337-341.
D'où figurent, du côté d'Arenberg, les armes Arenberg, la Marck, Ligne et Barbançon.
Anne de Croy, quant à elle, (Beaumont, 4 janv. 1564 - Enghien, 26 fév. 1635) était la fille aînée de Philippe de Croy, 3e duc d'Arschot.
D'où à droite (senestre) les armes de Croy.
Elles sont accompagnées de celles de Renty depuis le mariage (1354) de Guillaume de Croy avec Isabeau de Renty dont le contrat stipulait que le filz aisné yssant de ce mariage escartelleroit ses armes de Croy et de Renty en mémoire perpétuelle de cette alliance.
Voilà bien de belles illustrations avant de pénétrer dans l'église des povres malades d'Enghien ...
Yves Delannoy.
Source : CRAE - Annales n° 36 - 2002 - pp. 260-264.