A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
Jusqu'au début des années 1990, à l'exception de quelques bâtiments modernes qui furent construits pratiquement à la périphérie de la cité, Enghien était restée, par ses rues comme par ses habitations, pratiquement dans l'état où les Enghiennois du XIXe siècle l'avaient connue ; ses rues étroites, ses maisons basses avec un maximum de deux étages, rarement plus, conféraient à cette petite ville un grand charme.
Depuis une dizaine d'années, sans pour autant le regretter, une transformation radicale du
centre de la cité est enclenchée, pouvant parfois modifier profondément le visage et le caractère ancien de cette ville.
C'est ainsi qu'à l'extrémité de la rue du Château a été construit, pratiquement à l'emplacement de la Porte de Wyngaert, un bloc d'appartements qui clôture la série d'imposantes constructions, ce qui jadis était une zone marécageuse traversée par l'Odru. Viendra par la suite la transformation et le nouvel aménagement de la Maison Saint- Augustin avec l'implantation d'un bloc d'appartements dans ce qui était le « Parc » de ce couvent et de cette maison d'enseignement.
La disparition du mur de clôture (XVIIe s.) de l'ancien jardin du couvent des Capucins, rue des Capucins et des Eteules et des bâtiments du Noviciat, a permis la construction en front des deux rues d'une série de maisons unifamiliales.
Toujours dans le même quartier, mais dans la partie basse des deux rues, l'achat par la ville d'Enghien des anciens établissements « Perfecta », a donné lieu à la construction d'un tout nouveau quartier, tout en sauvegardant les anciennes constructions en façade.
La destruction par un incendie de l'ancienne maison communale, rue des Ecoles, a permis la construction d'un Centre Administratif de la ville, construction jouxtant les abords immédiats du tracé des anciens remparts qui furent rasés voilà quelques siècles.
Certes, il y eut d'autres aménagements dans la cité, rue d'Hérinnes et de Sambre, un bloc
d'appartements, rue de Nazareth l'élévation dans ce qui était jadis un des plus beau jardin
d'Enghien, celui de Joseph Parmentier, d'un bloc de chambres et de nouvelles installations pour l'internat de l'Athénée Royal d'Enghien. Plus ancien, en lieu et place des abattoirs, l'érection, en 1986, de la caserne du Service d'Incendie et ça et là dans les rues des transformations de rez-de-chaussée à usage commercial.
Mais en cette année 2009, la modification architecturale qui occupe de nombreux Enghiennois, amoureux de leur cité, est la démolition de deux habitations datées vraisemblablement du XVIIe siècle, et voisines de la Maison Jonathas : un site du centre ville, classé au Patrimoine majeur de Wallonie.
L'ensemble en 2005 |
Il est dès lors intéressant de s'attarder quelque peu à l'histoire de ces deux immeubles, où
depuis quelques semaines, les archéologues de la Région Wallonne espèrent retrouver un pan de notre passé. Ce passé est en effet trop méconnu, car essentiellement lié à des déductions faites à partir d'écrits anciens et des travaux de restauration de la Maison Jonathas effectués par la Ville après son acquisition dans les années 1970.
Le premier bâtiment, le numéro 11 rue Montgomery, attenant à la Boulangerie-Pâtisserie Braeckman, comme sa voisine, date du XVIIe siècle. Les registres du cadastre nous informent qu'elle appartenait de 1845 à 1861 à Clerebaut François et par succession à sa fille Clerebaut Constance. En 1875 elle deviendra la propriété de Devroede Victorien, fermier à Enghien, époux de Constance Clerebaut. Elle restera dans la famille et sera propriété de Nestor Devroede. Quatre années plus tard, en 1879, Seghers Louis est mentionné comme propriétaire de cette demeure qui dans le premier quart du XXe siècle deviendra la propriété d'Eeckoudt Fortuné qui vendra son bien à Eeckoudt Félix époux de Defraene Aline.
Une partie de la façade le 5 mai 2009 |
Une des fenêtres à meneaux du pignon nord |
C'est ce dernier propriétaire, marchand de légumes et de fruits qui organisera dans une construction à l'arrière du bâtiment, le cinéma « L'Idéal », un des trois lieux de projection à Enghien.
Les trois cinémas étaient « L'Idéal » rue Montgomery, rue d'Hérinnes « Le Rio » qui fermera ses portes au début des années 1970 et dans la rue de Bruxelles « Le Patria » à la fois salle de spectacles, de conférences, de concerts qui fermera ses portes à la fin des années 1970, pour devenir le magasin « Unic », actuellement le « Carrefour Express ».
L'ensemble appartiendra par la suite à la famille Bultreys-Thewissen, qui en 1970 la cédera à Maurice Vandenhoute.
L'entrée cintrée donnant accès au sous-sol |
Une autre fenêtre à meneaux de ce pignon |
La deuxième maison, alors le n° 13 de la rue Montgomery, jouxtant la propriété de la famille Theunis, surnommée « Maison Jonathas », appartenait en 1845 à J.B. Slingeneyer et en 1866 à son fils Isidore Slingeneyer. En 1885, c'est Léon Ghislain Slingeneyer, habitant Soignies et rentier (voir Liste électorale d'Enghien 1935) à Enghien qui en est le propriétaire.
A partir de cette date, nous manquons de renseignements jusqu'en 1969, sauf, qu'en 1908, cette maison sera agrandie. Nous connaissons le nom d'un autre propriétaire, Eugène Dodelet ; il avait reçu ce bien en héritage de son père en 1966 et le 28 avril 1969, il vendait cette bâtisse à Luc Vandenhoute. Ce dernier, pour des raisons commerciales, entreprend d'importants travaux ; les deux maisons ne font plus qu'une, portant le n° 52. Le magasin et l'entrée du dépôt s'étendent désormais de la boulangerie Brackman à « Jonathas ». La Maison Vandenhoute était spécialisée dans la vente d'appareils de chauffage, de cuisinières, de machines à laver et toute la production de la marque « Nestor Martin » ; elle était aussi dépositaire et grossiste de la marque des bonbonnes « Butagaz ».
En 1988, l'ensemble, commerce et habitation, est acquis par la famille Decroix, propriétaire de la société C.E.B.A., société jadis implantée rue de l'Yser après le carrefour avec le rempart. Celle-ci, avant d'opter pour l'un ou l'autre projet de transformation, loue l'établissement pendant quelques années à un cambodgien. Ce dernier y établira le restaurant « Le Mékong ».
Inoccupé pendant de nombreuses années, après le départ du restaurateur, l'état de l'immeuble se détériore à vue d’œil et devient un véritable chancre en plein centre ville. L'examen rapide de cette bâtisse, révèle qu'elle a été surélevée tardivement d'un étage, mais que ses pignons sont anciens (XVIe s.), ceci étant prouvé par la présence de fenêtres à meneaux portant des signes lapidaires et d'une entrée (murée) à linteau cintré en pierre.
Les deux signes lapidaires figurant sur les pierres de l'entrée murée |
La destruction de tout cet ensemble (n° 62) donne à ce moment une vue exceptionnelle de la maison Jonathas, ce qui n'a plus été le cas depuis des siècles, mais hélas plus pour longtemps.
En attendant, l'arrivée des archéologues et la mise en chantier des fouilles, le site restera figé pour découvrir l'histoire de ces lieux.
La Maison Jonathas au 28 mai 2009 |
Source :
Jean Leboucq - 22 septembre 2009 - CRAE - Bulletin trimestriel n° 63-64 - novembre 2009 - pp. 19 à 23.
INTERVENTION ARCHEOLOGIQUE PREVENTIVE
Depuis le 17 août 2009, le service de l'Archéologie (Direction du Hainaut I, Service public
de Wallonie - SPW) mène une campagne de fouilles archéologiques dans le centre d'Enghien. Cette intervention revêt un caractère préventif : elle intervient en amont d'un vaste projet immobilier. Les parcelles concernées, couvrant une superficie d'un peu plus de 600 m2, sont situées rue Montgomery à hauteur des numéros 11 et 13, contigus à la maison Jonathas, à proximité de l'église Saint-Nicolas. Elles abritaient, jusqu'il y a peu, des bâtisses remontant encore partiellement au XVIIe siècle, ayant notamment accueilli un cinéma au siècle dernier. Ces maisons, à l'abandon depuis de nombreuses années, ont été démolies au mois de mai 2009 pour faire place à des surfaces commerciales, des appartements et un parking en sous-sol. L'aménagement de ce dernier implique d'importants terrassements qui menaçaient de faire disparaître à jamais le potentiel archéologique de ces parcelles.
Une intervention archéologique se justifiait dès lors amplement dans ce contexte. Les parcelles se situent en effet à l'intérieur de l'enceinte urbaine médiévale. Traversant la ville de part en part, l'actuelle rue Montgomery constituait à l'époque l'un des axes principaux. L'organisation en parcelles de part et d'autre de cette voirie est clairement visible sur la représentation qu'en fit Jacques de Deventer au milieu du XVIe siècle, illustrant par ailleurs combien Enghien était alors déjà densément peuplée à l'abri de ses remparts.
L'analyse du patrimoine archéologique de ces terrains devra donc permettre d'en savoir davantage sur l'origine de la parcellisation urbaine, peut-être de la ville, mais surtout de la maison Jonathas voisine.
Bien que remaniée au XVIe siècle, cette imposante bâtisse aux murs de schiste est encore en grande partie médiévale. D'après une étude réalisée dans les années 1980 sans aucune approche archéologique de son sous-sol, il s'agirait du premier donjon des seigneurs d'Enghien édifié au XIIe siècle.
Les premiers résultats mettent en évidence plusieurs murs et niveaux de sol antérieurs aux bâtiments démolis. Ces vestiges témoignent d'une occupation que les quelques fragments de céramiques associés permettent de faire remonter au plus tard XIVe siècle. On constate également la présence d'importants remblais probablement destinés à échapper aux caprices d'une nappe phréatique causant des problèmes récurrents d'humidité.
L'intervention archéologique durera jusqu'au 30 septembre 2009 et devra livrer à n'en pas
douter quantité d'autres informations précieuses sur la vie quotidienne à Enghien du Moyen Âge à nos jours.
Source :
Michèle Dosogne, archéologue, Service de l'Archéologie, Direction du Hainaut I, SPW
Frédéric Chantinne, archéologue et historien, Direction de l'Archéologie, SPW
CRAE - Bulletin trimestriel n°s 63-64 - pp. 23-24 - Novembre 2009.