A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
INTRODUCTION
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L'on rappelle tout d'abord, très succinctement, quelles furent les grandes étapes de l'acquisition de notre indépendance, ainsi que les prémisses de la révolution. L'on évoque, ensuite, le rôle qu'une ville de province comme Enghien tint dans des combats des « Journées de septembre ».
Une limite s'impose avec exigence : les documents relatifs à cette période de l'histoire enghiennoise font cruellement défaut ! Seuls demeurent les travaux d'auteurs qui eurent, eux, la chance de les posséder. Nous nous contenterons dès lors de celle de les découvrir grâce à eux.
LA REVOLUTION ET SES SUITES IMMEDIATES
L'on peut, semble-t-il, condenser la naissance de l'Etat belge en quatre dates : le 27 septembre 1830, le 4 octobre 1830, le 7 février 1831 et le 21 juillet 1831. Les « Journées de septembre » sont l'expression du détachement violent de la Belgique du Royaume de Hollande.
Ce « fait » reçoit dès le 4 octobre 1830 une traduction juridique : un régime constitutionnel voit le jour. Un nouvel Etat se constitue ; le gouvernement provisoire se préoccupe de fixer sans délai « l'état futur de la Belgique » ; il décrète, entre autres, qu'un projet de constitution sera élaboré « au plus tôt » ; il convoque un Congrès National pour examiner ce projet, pour le modifier au besoin et pour rendre la constitution définitive « exécutoire dans toute la Belgique ».
Portrait du gouvernement provisoire de Belgique par Charles Picqué (1799-1869) en 1830.
De gauche à droite : Alexandre Gendebien, André Jolly, Charles Rogier, Louis de Potter, Sylvain Van de Weyer,
Feuillien de Coppin, Félix de Mérode, Joseph Vander Linden, Emmanuel van der Linden d'Hooghvorst.
Le fruit de la victoire était l'indépendance ; le Congrès National devait la « constituer et la consolider à jamais » (1). Ce fut chose faite par l'approbation du texte définitif de la constitution, le 7 février 1831. Au terme du processus, Léopold Ier prêtait serment « d'observer la constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire » (2). Il pouvait ainsi, le 21 juillet 1831, constater d'une formule ramassée que « l'Etat est définitivement constitué dans les formes prescrites par la constitution même ».
Prestation de serment de Léopold (© Musée de l'armée)
LES PREMISSES DE LA REVOLUTION
De même que l'influence de la révolution française nous parvint par delà les frontières politiques, semblablement, mais dans une moindre mesure, l'épisode des « trois glorieuses » françaises des 27, 28 et 29 juillet 1830 força l'évolution de la destinée belge.
Notre pays est rattaché, à cette époque, à la couronne hollandaise. GUILLAUME ler y règne. Il s'y inspire des principes de l'« Aufklärung » allemand, c'est-à-dire du despotisme éclairé.
De tels principes, que l'on résume en cette formule : « tout pour le peuple, rien par le peuple », n'ont guère trouvé terre très fertile dans nos contrées. Bien vite, en effet, l'absolutisme du peuple céda le pas à celui d'un homme ! Ne faisons pas ici le procès du Roi. Retenons simplement que sa politique suscita dans nos provinces une opposition générale.
Les griefs sont nombreux. Ils se rejoignent cependant sous cette aspiration commune qu'ils trahissent : plus de libertés I Liberté de l'enseignement, celle de la presse, liberté politique...
Le mécontentement général ne semblait pas aussi affirmé à Enghien. La ville reçut, le 11 juin 1829, la visite du Roi Guillaume Ier d'Orange. L'on en retrouve la trace dans le « Journal de la province du Hainaut » (3). Il semble, — ce journal était « d'inspiration officielle », — que l'on ne pouvait déceler chez nos concitoyens aucune idée séparatiste, mais bien au contraire un sentiment de fidélité au souverain.
La suite des événements allait nous prouver le contraire...
La tension s'accroît. A partir de juillet 1830, le « climat » public rend la tension politique de plus en plus dangereuse. Dans cette atmosphère fiévreuse un incident se produit. Le 25 août la Monnaie joue « la Muette de Portici », qui évoque la lutte des patriotes siciliens contre l'oppresseur étranger. L'émotion gagne la salle, puis se propage à l'extérieur. Des maisons d'orangistes sont incendiées ou pillées. Devant l'apathie des autorités, les classes possédantes, menacées dans leurs biens, organisent une garde bourgeoise. L'effervescence s'étendit à tout le pays. Les nouvelles de la capitale parvenaient assez rapidement à Enghien. La ville était, en effet, desservie par deux services de diligences des postes. L'un, concédé par arrêté du 21-XI-1819, était exploité par P. VANDERHEYDEN ; l'autre, concédé en 1825, l'était par A. PARDOENS. Notons encore que la diligence Bruxelles-Lille passait par Enghien (4). Le relais des postes se trouvait au faubourg de la porte d'Hoves.
La ville d'Enghien ne connut pas, il est vrai, l'agitation de la capitale ; il n'empêche que le conseil de la régence d'Enghien, « prenant en considération que, dans les circonstances actuelles, il est nécessaire de prendre des mesures pour assurer la tranquillité de la ville et pour prévenir que les propriétés n'éprouvent aucune atteinte (et) répondant au désir exprimé par les habitants notables d'Enghien », prit l'arrêté suivant « article I" : — Une patrouille bourgeoise temporaire s'organisera et fera à dater de ce jour, son service en cette ville.
« article II : — Sont invités à faire partie de ce service temporaire, tous les habitans (sic) notables d'Enghien en état de porter les armes » (5).
Les événements se précipitent. A Bruxelles, la garde bourgeoise commandée par le baron Emmanuel d'Hoogvorst calme difficilement les extrémistes. Au soir du 30 août près de 6.000 soldats et une vingtaine de canons sont concentrés à Vilvorde, sous les ordres du Prince d'Orange et de son frère Frédéric (6).
Les jeux sont faits ! L'on parle de la séparation administrative entre le Nord et le Sud ; les Bruxellois construisent des barricades. Vers la mi-septembre, « le populaire est maître de la cité » (7).
Le tocsin sonne à l'église Saint-Michel !
Le 22 septembre, les patriotes engagent le combat contre les troupes royales sur le plateau de Dieghem. Au milieu de la nuit une fusillade nourrie retentit dans la direction des portes de Flandres, de Schaerbeek et de Namur.
Le jeudi 23 septembre, vers 8 h. du matin, commence à tonner le canon. L'attaque de la ville commence.
LES COMBATS OU LES « QUATRE GLORIEUSES » DE SEPTEMBRE 1830
L'épisode des « Journées de septembre » fait de la révolution belge une révolution essentiellement bruxelloise ; il est vrai que la capitale fut le centre des opérations et principalement le quartier de la Place Royale et du Parc.
Est-ce à dire que le reste du pays demeura à l'écart ? Pas du tout !
La révolution fut essentiellement celle des volontaires « (...) la capitale de la Belgique fut défendue par les Belges plus encore que par ses habitants, et la nation tout entière collabora à sa résistance » (8).
Enghien, que sa position topographique mettait en contact direct avec la capitale, ne fut pas en reste ! Loin s'en fallut !
Un premier fait se signale par son symbolisme : un drapeau tricolore fut arboré sur la tour de l'église paroissiale (9).
Le drapeau belge d'origine
De son côté, la Régence d'Enghien (le conseil communal de l'époque) -favorisa la formation d'un corps de volontaires. « Le compte communal atteste que du 20 au 28 septembre 1830 l'épouse DELTENRE, d'Enghien, fournit aux volontaires de la poudre et du plomb, pour 24 florins 85 cents » (10).
Le nombre de ces volontaires peut, selon l'administration communale, être estimé à 46 unités. Le 29 octobre 1830, dix-neuf hommes d'Enghien, tous armés de fusils, allèrent grossir la compagnie d'Enghien. Leur conduite fut, a-t-on dit, « irréprochable sous tous les rapports et méritait les plus grands éloges » (11).
D'autres volontaires, arrivant des diverses localités du Hainaut, passèrent par Enghien. Un convoi d'artillerie et de munitions venant d'Ath, dans la nuit du 27 au 28 septembre fut signalé à la régence. Des volontaires d'Enghien allèrent à sa rencontre et l'accompagnèrent jusqu'à Enghien, où le carillon salua son entrée (12). L'année 1831 vit, elle aussi, bon nombre de passages de troupes.
Mais au fait ! Qui étaient ces volontaires ?
Sur le plan national, les combattants ne sortaient pas uniquement de la « populace ». En réalité, ils appartenaient à tous les groupes sociaux. Ils se recrutaient plus volontiers dans le milieu des artisans ou de la petite bourgeoisie. A leurs côtés, on remarquait des avocats, des propriétaires et des fabricants.
Les volontaires enghiennois reflétaient pour partie cette situation.
A la tête de la troupe patriotique se trouvaient un ex-militaire, JOSEPH DIRICK, et un ouvrier, THEODORE CORBIER. Ils avaient respectivement 43 et 37 ans en 1830. DIRICK se mit à la tête des volontaires qui se dirigeaient sur Bruxelles le 24 septembre 1830. Le 30 du même mois, ils escortèrent avec d'autres Enghiennois deux pièces d'artillerie jusqu'à Louvain. Leur courage leur valut la croix de fer !
Les autres volontaires sont essentiellement des artisans et des ouvriers. Ces derniers n'étaient pas moins de huit, l'on dénombrait cinq tisserands (tailleurs), et trois chapeliers, autant de cabaretiers, mais aussi un médecin, un boulanger, un cultivateur, un sergent, un agent de l'administration des douanes, etc... (13).
Parmi ces combattants, trois méritent une place privilégiée ; ils ont, en effet, contribué par le don de leur vie à la conquête de l'indépendance nationale. Il s'agit de GUSTAVE DEMELIN, d'un certain C. PELSENER et de BENOIT SCHOONHEIT (ou SCHOONHEYT), qui fut tué en allant planter le drapeau tricolore devant la grille du Parc, en face des troupes hollandaises (14).
Intrépides patriotes, ces volontaires de la première heure rentrèrent en leur cité, une fois le sort national acquis, n'ayant d'autre gloire que celle qu'inspire le devoir bien fait.
Un drapeau d'honneur fut décerné, par un décret du Congrès National du 28 mai 1831, aux communes qui s'étaient signalées par leur participation à la libération du pays. Pareil drapeau, aux couleurs nationales, surmonté du Lion Belge (portant d'un côté le mot LIBERTE et de l'autre le millésime MDCCCXXX) fut attribué à la ville d'Enghien le 19 septembre 1831. Une députation composée de volontaires de 1830 s'en alla recevoir le drapeau. Son entrée en ville d'Enghien fut l'occasion de réjouissances publiques.
D'autres manifestations patriotiques eurent lieu. A l'occasion de la visite de LOUIS DEPOTTER, membre du gouvernement provisoire, le 26 novembre 1830, la réception fut enthousiaste ; le peuple détacha les chevaux et la voiture fut traînée par les habitants jusqu'aux confins de la ville. Le 5 juin 1831, le carillon célébra l'élection du prince LÉOPOLD DE SAXE-COBOURG comme Roi des Belges et le 21 juillet suivant il appela à la joie tous les habitants en ce jour de la prestation de serment de son premier Roi.
Prince Léopold de Saxe-Cobourg |
Roi Léopold Ier |
Après le tocsin des combats, le carillon de la paix, un TE DEUM solennel rassembla les Enghiennois pour célébrer, le 10 décembre 1831, l'anniversaire du Roi. On y fêta en même temps la conclusion du Traité des XVIII articles conclu par les cinq grandes puissances, reconnaissant l'INDEPENDANCE de la Belgique.
Philippe DENYS.
Notes :
(1) Doc., Congrès National, discours d'ouverture, le 10-XI-1830.
(2) Art. 80 constitution.
(3) H. DE CORDES ; Enghien en 1830, in-Annales du Cercle Archéologique d'Enghien, t. VI, 1898-1907, pp. 338-339.
(4) Ibidem, p. 336.
(5) H. DE CORDES, op. cit.,p. 340.
(6) L. VERNIERS, Un millénaire d'histoire de Bruxelles, éd. De Boeck, Bruxelles, 1965, p. 581.
(7) L. VERNIERS, op. cit., p. 584.
(8) H. PIRENNE, Histoire de la Belgique, t. VI, éd. 1926, p. 403.
(9) E. MATTHIEU, Histoire d'Enghien, p. 274.
(10) H. DE CORDES, Annales, p. 351.
(11) Extrait du rapport très élogieux que le capitaine-commandant GLAUDAS adressa le 8 octobre à la régence d'Enghien.
(12) H. DE CORDES, op. cit., p. 360.
(13) Pour une liste complète, voir H. DE CORDES, op. cit., p. 352.
(14) E. MATTHIEU, op. cit., p. 274.
Source : Collège Saint-Augustin - Revue Heri et Hodie, 1979 - Enghien en 1830 - pp.11-17.