A la découverte d'Enghien par d'autres chemins
Armes de la Maison d'Enghien
Engelbert IV d'Enghien, chevalier était un seigneur d'Enghien, né aux alentours de 1160, décédé le 25 février 1250.
Il était fils d'Engelbert III d'Enghien, seigneur d'Enghien, et d'Élisabeth de Trazegnies. Il fit des dons à l’abbaye de Cambron.
Il soutint Godefroid III, duc de Louvain mais dut finalement se soumettre à Baudouin IV, comte de Hainaut lors des révoltes des barons. Ces conflits continuèrent avec leurs successeurs Baudouin V de Hainaut et Henri Ier de Brabant.
De son mariage avec Ide ou Adélaïde d'Audenaerde vers 1200, fille d'Arnould III d'Audenaerde ou de Gilbert II d'Oudenaerde et de Richilde de Peteghem (demi-sœur de la future épouse de Siger d'Enghien), il n'y eu pas d'enfant.
En deuxièmes noces Adélaïde d'Avesnes (~1180, 23 septembre 1216), fille de Jacques Ier d'Avesnes et d'Amélie de Guise, ils eurent comme enfants :
La maison avait pour cri de ralliement Enghien au seigneur.
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SUS AUX CATHARES !
On peut considérer que le début de l'hérésie cathare en Occident, se situe peu après l'an mil. Elle se répand dans le midi de la France, principalement en Languedoc.
Au XIe siècle, la culture occitane (*) se distingue de l'évolution des autres parties de l'Europe, en particulier de celle qui était alors la France.
(*) L'Occitanie, -ou le monde occitan-, est constitué par l'ensemble des pays de langue d'oc, soit aujourd'hui 31 départements du sud de la France, 12 de la vallée des Alpes italiennes et un de la vallée pyrénéenne d'Espagne. Le pays à la langue d'oc (Languedoc) représente essentiellement les régions d'Albi et de Toulouse. Dictionnaire Hachette Multimédia, CD Rom, 1995.
Les villes du midi de la France étaient alors très peuplées et très riches. Toulouse était la troisième ville d'Europe après Venise et Rome... les cités méridionales avaient gardé de l'Antiquité le sentiment de l'indépendance et le goût de la liberté.
C'est à l'accession du pape Innocent III (1198) (*) que des mesures d'abord pacifiques sont prises par l'autorité romaine contre le catharisme. Mais, dès l'assassinat du légat Pierre de Castelnau (**), la croisade est décidée.
(*) Né à Seqni (c. 1160), élu pape le 8/1/1198, mort à Pérouse en 1216. En lutte ouverte avec le pouvoir impérial depuis la réforme grégorienne, Innocent III évolue vers la théocratie. Il a donc pleins pouvoirs sur les évêques de France. Modéré, le pape était réticent devant l'enthousiasme excessif de ses légats dans la lutte -intéressée- des barons du Nord contre les seigneurs du Midi. P. LE VILLAIN, Dictionnaire de la Papauté, p. 877-879, Ligugé, 1994.
(**) Pierre de Castelneau, chanoine et archidiacre de Maguelonne (1182), moine de l'abbaye cistercienne de Fontfroide en 1202, devint légat du pape de 1203, fut assassiné le 12 janvier 1208 et remplacé par Arnaud Amalric.
La chancellerie pontificale incite alors les évêques, abbés et autres dignitaires de l'église à se croiser contre les hérétiques, et c'est l'abbé de Citeaux qui rassemble l'armée, forte dit-on, de trois cent mille hommes ! Même si ce nombre paraît astronomique pour l'époque, il y avait là non seulement des Normands, des Aquitains, des Bourguignons, mais aussi des Flamands, des Allemands , des Picards et des Lorrains. Nous sommes en 1208.
Et puis vient la lente succession des massacres. En 1209 la population de Béziers est exterminée. Pas seulement les hérétiques mais aussi les catholiques, femmes et enfants inclus . Même si la déclaration de l'abbé de Citeaux (*) : Tuez les tous ; Dieu reconnaîtra les siens, est rapportée ultérieurement et sans trop d'assise historique, le fait est certain : on a tué tous les habitants (**) Carcassonne est enlevée la même année. C'est ensuite le siège et la destruction de nombreuses places fortes et châteaux, dont celui de Termes près de Narbonne.
(*) Arnaud-Alaury, fut abbé de Grandselve (1199, puis abbé de Citeaux (1201) et archevêque de Narbonne (1212).
(**) Probablement 30.000 personnes paraît une estimation raisonnable. F. NIEL, Albigeois, p. 77.
Mais quel est donc le rapport de tout ceci avec Enghien?
Simplement qu'Englebert d'Enghien y était ! Qu'allait-il faire dans cette galère? Qui penserait à fouiller les archives des guerres contre les albigeois pour y trouver un seigneur d'Enghien? Georges Despy (*) a relevé le défi.
(*) Professeur émérite à la faculté de philosophie et lettres de l'U.L.B., section Histoire médiévale, Àrchiviste-paléoqraphe de l'Etat, Membre de l'Institut Historique Belge de Rome, Lauréat de l'Académie Royale de Belgigue. G, DESPY, Des nobles hainuyers à la croisade contre les albigeois, dans Recueil d'études d'Histoire hainuyère, t. II, pp. 51-58, Kons, 1983,
Fort heureusement, un moine cistercien de l'abbaye de Vaux-de-Cernay (*) eut la bonne idée de nous laisser une chronique de ces lointains événements.
(*) Abbaye située aux environs de Cernay-la-Ville, actuel diocèse de Versailles, commune des Yvelines, au S-O de Chevreuse, Fondée par les bénédictins de Savigny en 1118, elle devint cistercienne en 1147 et rattachée à l'abbaye de Clairvaux. G, LE BRAS, dir., Les ordres religieux, la Vie et l'Art, t. l, p. 516, Aulnay-sous-Bois, 1978. L'abbaye atteint sa plénitude sous la juridiction de l'abbé Théobald des Vaux-de-Cernay († 1247). Elle fut dépeuplée et ruinée pendant la guerre de cent ans.
Pierre des Vaux-de-Cernay, né autour de 1194, est mort fort jeune, sans doute après 1218. Il était entré chez les Bénédictins de Cernay, abbaye nouvellement créée à peine un siècle plus tôt. Le jeune Pierre avait embrassé la vie monastique sur les conseils de son oncle Guy (*), alors abbé de Vaux-de-Cernay. Accompagnant ce dernier à partir de 1212 dans la 4e croisade contre les albigeois, il en devint le chroniqueur. Admirateur sans bornes du chef de guerre de l'expédition, le terrible Simon Amaury de Monfort, Pierre met en exergue les "exploits" de ce dernier. On se doute que le moine de Vaux-de-Cernay fut un adversaire passionné de l'hérésie cathare (**).
(*) Amaury Duval, Guy des Vaux-de-Cernay, abbé depuis 1184, Histoire de la littérature de la France, t. XVII, p. 236.
(**) New Catholic Encyclopedia, 15 vol., t. 11, p, 230, New-York, 1964,
L'abbé Guy († 1210), dernier évêque de Carcassonne, a effectivement participé â la croisade contre les albigeois (*), alors que son neveu Pierre des Vaux-de-Cernay, écrivait l'Hystoria Albigensis (**) qui couvre quelques quinze années de cette très pénible période de l'histoire de l'église.
(*) New Catholic, t. 14, p, 251.
(**) Pierre-des-Vaux-de-Cernay, Hystoria Albigensis, éd., P. Guebin, E. Lyon, 3 vol., Paris, 1926-1939. Id., Histoire Albigeoise, éd, P. Guebin, H. Maisonneuve, Paris, 1951. Le no. de l'auteur en latin : Petri Vallium Sarnaii.
Nous apprenons de la sorte la présence d'Engelbert d'Enghien parmi les nobiles de Alemania ou de Lotharingia, ces chevaliers de la chrétienté partis défendre la croix et les dogmes de l'église de Saint-Pierre contre ces hérétiques.
Les faits se situent en Languedoc en 1218. Comme pour le premier seigneur d'Enghien, -Engelbertus de Adenghien-, dont nous connaissons l'existence en 1092 grâce à une charte du chapitre de Soignies, c'est également grâce à un acte épiscopal que nous découvrons Engelbert comme témoin à Maguelone (*) en 1218.
(*) Maguelone, arrt. Monpellier, dépt. Hérault, canton de Frontignan, hameau de la côte du Languedoc et commune de Villeneuve-Iès-Maguelone. Importante ville épiscopale au Moyen-Aqe, basilique romane du XIe siècle aujourd'hui cathédrale St. Pierre.
Le texte du moine-chroniqueur mentionne :
Anno verbi incarnati M °CC °XVIII °, duo decimo kalendos decembris, Ludovicos, illustris Francorum regis filius primogenitus, de voluntate et assensu patris suscepit in pectore signum crucis ad Iaudem Dei et depressionem in Tolosanis partibus heretice pravitatis : cujus exemplo et emulatione provocati, et muiti potentes et nobiles Francie similiter assumpserunt (*).
(*) P. des VAUX-de-CERNAY, Historia, t. II, p. 321.
Le roi de France Louis VIII (*) prit donc la croix le 20 novembre 1218, mais Pierre des Vaux de Cernay ne nous dit pas quels étaient ces multi potentes et nobiles Francie qui l'accompagnaient. Pascal Guebin et Ernest Lyon , les savants éditeurs de cette chronique, ont fait des recherches très sérieuses à ce sujet. Ils citent les évêques de Cambrai, Noyon, Châlons, Tournai, les comtes de Bretagne, de Nevers et Gaucher de Saint-Pol, aïeul du connétable, seigneur d'Enghien. Parmi les nobles venant de "chez nous", il y avait Otton de Trazegnies, Arnould d'Audenarde et Engelbert d'Enghien (**).
(*) Louis VIII accéda au trône des lys en 1223, il avait alors 39 ans. C'est son père Philippe-Auguste qui l'envoya à la croisade contre les Albigeois en 1218. Devenu roi, Louis VIII entreprit lui-même une nouvelle expédition dans le midi (1226).
(**) Id., p. 321, n.2. Pour ces deux derniers seigneurs, Guebin et Lyon citent Jean ROUQUETTE, A. VILLEMAGNE, Bullaire de l'église de Maguelonne, n° 244. L'ouvrage étant inconnu, tant à la B.R. qu'aux bibliothèques de l'U.C.L. et de l'U.L.B., nous n'avons pu vérifier la référence citée par les éditeurs de l'Historia Albigensis. Des recherches seront entreprises à la B.N. pour retrouver le texte original de l'évêque de Maguelonne.
Englebert IV d'Enghien, né autour de 1160 avait épousé une des grandes familles de Hainaut à l'époque, en la personne de Ide d'Avesnes. Une série d'actes de donations d'Englebert IV ont été relevés en faveur des abbayes de Cambrai, de Cantimpré et de Forest. La chartreuse d'Hérinnes et le chapitre de Sainte-Waudru bénéficièrent également de ses bienfaits. Le château d'Enghien ayant été détruit par le comte de Hainaut, c'est au bois de Strihoux que vivait Englebert IV. Même si on ne sait pas grand chose de cette demeure seigneuriale, son existence est attestée par Goffin (*) qui, par ailleurs, ne laisse aucune trace d'un éventuel voyage du seigneur d'Enghien dans le midi de la France, mais qui signale cependant que Jacques premier d'Avesnes, son beau-père, mourut à la croisade (**). S'agit-il des lieux saints ou du Languedoc? Matthieu quant à lui, confond Englebert IV avec l'un de ses prédécesseurs, et ne dit mot de sa participation à la croisade franco-pontificale dont il est ici question.
(*) R. GOFfIN, Généalogies enghiennoises, La Maison d'Enghien, livre l, pp. 20-25, Herne, s.d ..
(**) Id., p. 23.
L'ancêtre d'un autre seigneur d'Enghien, comte de Saint-Pol et aïeul du connétable, Louis de Luxembourg, était aussi au nombre des croisés albigeois (1208) (*).
(*) F. NIEL, Albigeois, pp. 75-79.
Gaucher III, seigneur de Châtillon-sur-Marne et sénéchal de Bourgogne, avait épousé l'héritière du comté de Saint-Pol, la comtesse Elisabeth (1197) (*). C'est bien lui qui se vit proposer de remplacer le vicomte de Carcassonne après la prise de cette ville. Il eut la noblesse de refuser cette succession, liée à une trahison. Un fanatique l'accepta. Il s'appelait Simon de Monfort. Jusqu'à sa mort (1218), pendant huit ans, ce dernier allait mettre ses talents au service du légat Arnaud-Amalric et des bûchers.
(*) Europäische Stamtaffel, band VII, tafe! 17, Das Haus Châtillon s/Marne I, Les seigneurs de Châtillon und comtes de Saint-Pol. Id., band 111/4, tafel 622, Les comtes de Saint-Pol de 1031-1205.
On sait que la guerre contre les albigeois ne se termina qu'en 1244. Les deux cent dix hérétiques de la forteresse de Montségur périrent dans un bûcher gigantesque et le Languedoc aboutit dans l'escarcelle de Saint-Louis, roi de France.
ENGELBERT IV D'ENGHIEN EN CROISADE
Dans les pages précédentes, nous avons donné quelques informations relatives à Engelbert d'Enghien qui participa à l'une des croisades contre les Albigeois en 1219. Il nous manquait cependant une référence importante, à savoir le texte épiscopal ou papal faisant état de la présence du seigneur d'Enghien dans le midi de la France à l'époque de Louis VIII, fils de Philippe-Auguste.
C'est à la sagacité de l'un de nos lecteurs érudit que nous devons de pouvoir aujourd'hui combler cette lacune. A l'occasion de ses vacances en Ardèche et dans l'Hérault, Monsieur René DENYS, de Rebecq, a en effet eu la curiosité de pousser la porte de la Bibliothèque de Montpellier. Remercions-le pour son initiative puisque le Bullaire de Maguelonne y était consultable ! Nous sommes donc à même de livrer ci-dessous le texte de l'instruction d'Honorius III (*), enjoignant à deux seigneurs hennuyers de protéger la ville de Montpellier.
(*) Bulle papale du 20 mai 1219. Honorius III fut choisi le 18 juillel 1216, intronisé six jours plus lard et décéda le 18 mars 1227. En 1216, à la requête de Jacques de Vitry, il reconnut l'existence des premiers béguinages composés de saintes femmes laïques. J.-F. GILMONT, Une spiritualité wallonne au XIIIe siècle, dans Villers Une abbaye revisitée, Actes du Colloque 10-12 avril 1996, pp. 175-187. C'est encore le même pape qui approuva l'ordre des Frères Mineurs en 1223. J.-P. TYTGAT, Archives d'Arenberg à Enghien Documents concernant le couvent de Nazareth à Enghien (1503-1797), dans ACAE, 1. XXX, p. 19, n. 36.
De plus, et grâce à l'amabilité et à la compétence de M. Marc Quinet, professeur de latin, nous possédons une excellente traduction du texte papal. Elle respecte le vocabulaire et les règles de la chancellerie pontificale :
Honorius, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à ses fils chéris, aux hommes nobles Englebert d'Enghien et Othon de Trasegnies, croisés, je donne le bonjour et la bénédiction apostolique.
Nous recommandons votre zèle ardent de dévotion et de foi aux dignes louanges dans le Seigneur, parce que, voulant combattre pour le Seigneur pour chasser les Albigeois hérétiques vous vous êtes avancés courageusement rangés avec vigueur sous l'étendard de la croix ...
Pour nous, de toute évidence, il apparaît assez clair par le témoignage louable de notre vénérable frère l'évêque des Sabines et de plusieurs autres hommes honnêtes, et pour vous, comme nous le croyons, qu'il n'existe aucun doute, comme la ville de Montpellier a été favorisée ainsi d'une abondance de tous biens, parce que le Seigneur l'a bénie, que les fils chéris et les peuples de cette même ville confirmés sur la pierre solide de la foi catholique ne se détournent ni à droite ni à gauche : que , demeurant fermement et fidèlement dans la dévotion de la très sainte église romaine, leur mère, ils se manifestent, à notre demande, seulement favorables aux combattants du Christ Jésus, les Croisés, traversant leur terre.
D'où il est digne et conforme à la raison que leur fidélité et leur dévouement les recommandent à vous et à d'autres. Nous, attentifs à leurs biens, voulons en effet que, en même temps que la cité et toute la terre, vous sachiez que de notre propre chef (nous disons que) les chefs et le peuple, sont sous notre protection et celle du Siège apostolique, qu'ils demeurent à notre cher fils dans le Christ, Jacques, illustre roi d'Aragon (*), en conséquence, par affection paternelle, nous choisissons avec sincérité /e roi lui-même par l'attachement au souvenir de Marie reine d'Aragon, sa propre mère ayant donné naguère et cette ville et tous ses biens au Siège apostolique de l'église de Rome : alors aussi à cause de leur dévotion et de leur fidélité, il convient que nous les protégions spontanément.
(*) Jacques 1er d'Aragon, dit le Conquérant (1208 -1276), de la dynastie barcelonnaise, fils de Pierre Il et de la reine Marie, participa activement à la lutte contre les Maures, raison probable de la protection papale ci-dessus requise, auprès du seigneur d'Enghien. De plus, Pierre Il d'Aragon avait été couronné à Rome (1204) par Innocent Ill. C'est lui qui acquit par mariage la ville de Montpellier (1204). M. MOURRE,
Dictionnaire.
L'Aragon se situe au N-E de la péninsule ibérique el comprend (depuis 1833), les provinces de Saragosse, Huesca et Teruel. Comté dépendant de la Navarre au IXe s., l'Aragon devînt royaume en 1035.
C'est pourquoi, vous le demandant par cet écrit apostolique, nous avons estimé que votre attention devait être sollicitée et confirmée, puisque, eu égard au respect du Siège apostolique et de notre personne, le chef précité et le peuple recommandés sincèrement à ce que vous ne les molestiez en aucune façon ni ne permettiez pas qu'ils soient ennuyés par d'autres aussi longtemps qu'ils seront chez vous : que vous vous occupiez d'exhorter le fils chéri, le noble Louis, premier né de notre très cher fils dans le Christ, Philippe, illustre roi des Français à agir prudemment et efficacement afin qu'il ne moleste pas ces mêmes chefs ni le peuple ni ne permette qu'ils soient molestés par d'autres : et qu'il les garde protégés eu égard à notre respect et à celui du Siège apostolique.
Fait à Rome à Saint-Pierre, le 13e jour avant les calendes de juin, en la 3e année de notre pontificat. (20 mai 1219)
Selon l'éditeur de la bulle papale, le texte original du pape, en latin, cite le seigneur d'Enghien sous la forme Engelberto de Herigue. L'ortographe Herigue peut surprendre. La toponymie d'Enghien (*) ne connait pas de Herigue, ni la lettre H en tête de mot, dans les nombreuses orthographes anciennes de notre ville. Néanmoins, nous trouvons Hedinghen sur la carte des Flandres de Mercator (1540) (**). Fort heureusement, René Denys a poussé la curiosité jusqu'à vérifier l'acte original où l'on peut lire aisément Engelberto de Henghe et non de Herigue Voilà qui nous rapproche sérieusement de l'orthographe d'Enghien. De plus l'identification des savants auteurs de l'édition Historia Albigensis, ainsi que la confirmation du professeur Despy devraient suffire à nous rassurer quant à la présence d'Engelbert d'Enghien, -d'ailleurs cité à côté d'un de ses voisins hénnuyers, Otton de Trasegnies (***) -, à la croisade contre les albigeois. Un autre notable de nos régions mentionné en Languedoc n'est autre qu'Arnould d'Audenarde (****) dont nous verrons l'importance en Flandre et en Hainaut.
(*) A. BILUET, Toponymie van Edingen, dans Eigen Schoon en de Brabander, 1971-1972-1973, pp.202-206.
(**) P. BUXANT, Aspects géographiques d'Enghien, dans ACAE , t. XXV, p. 217, Enghien, 1989. Gérard Mercator (1512-1594) auteur d'une série de cartes remarquables publiées au lendemain de sa mort sous le nom d'Atlas Mercator. J. DENIS, (dir.). Géographie de la Belgique, p. 7. Bruxelles, 1992.
(***) Trazegnies, prov. Hainaut, N-O de Charleroi, à côté de Courcelles. Cette seigneurie appartenait au comté de Hainaut et relevait de l'évêché de Cambrai. Les Trazegnies ont été seigneurs de Silly depuis 1095 jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Entre autres lieux (Chapelle-Iez-Herlaimonl, Contrecoeur...), Othon de Trazegnies (dit l'Oncle) lut seigneur de Silly de 1204 à 1242. Auteurs de nombreuses donations aux abbayes de Cambron et de Ghislenghien. Epoux de Agnès de Hacquegnies. L MEUSE, Histoire de la commune de Silly, pp. 58-59, 105. Son grand-père mourut à son retour de Terre-Sainte en 1193. Au sujet des actes juridiques de ce seigneur, voir A WAUTERS. Table chronologique des Chartes et diplômes imprimés concernant l'histoire de Belgique, t. III (1191-1225). pp. 530-531-584-610-626·676., Bruxelles, 1874. Pour la période 1226-1250, on trouvera de nombreuses références à Othon de Trazegnies, dans id., t IV.
(****) P. des VAUX-de-CERNAY, Historia Albigensis, éd. P. Guebin, E. Lyon. t. 1. pp. 321-322, Paris, 1926.
Quant à la décision du seigneur d'Enghien de partir bien loin chasser l' "hérétique", nous avons dit qu'elle relevait de l'esprit de l'époque, où les grands de ce monde voyaient Saint-Jacques de Compostelle, Sainte-Foy de Conques, et bien entendu Jérusalem, comme d'utiles moyens de s'assurer l'au-delà. En dehors des pèlerinages, il y avait d'autres moyens reconnus efficaces par l'église médiévale pour conquérir le paradis, à savoir les croisades, -ou pèlerinages armés-, et les dons aux abbayes.
Cependant, s'il est assez logique d'imaginer un pèlerinage en terre sainte pour un seigneur médiéval qui qu'il soit, il est moins courant de voir un seigneur de nos régions participer à une expédition typiquement "française", telle que la répression des albigeois. Beaucoup de grands féodaux du royaume de France se tailleront d'ailleurs des domaines, ou trouveront quelque intérêt à ces lointaines expéditions, faites au nom de la croix. Ce n'est certes pas le cas du seigneur d'Enghien qui n'avait rien à attendre dans ces réglons du midi , et ce, sous la bannière d'un roi de France, alors que le Hainaut et le Brabant, -ces deux principautés auxquelles les d'Enghien ont fait allégeance- , relevaient toutes deux de l'empire?
Il faut donc replacer la décision du seigneur d'Enghien, de participer à cette croisade française, dans le contexte historique de l'époque, Jeanne de Constantinople, comtesse de Hainaut, est alors également comtesse de Flandre (*). Les deux principautés sont en effet réunies depuis deux générations. Née autour de l'année 1200, Jeanne vient de perdre son père (1205). Baudouin IX, mort en Palestine, et sa mère Marie de Champagne, enlevée par une épidémie de peste en 1204. L'orpheline devient alors la proie du roi de France Philippe-Auguste qui exige la garde à Paris des princesses de Flandre, Jeanne et sa soeur Marguerite. "Notre" future comtesse de Hainaut passera donc son enfance au palais de la Cité et sera mariée par le roi de France à Ferrand de Portugal.
(*) Pour la généalogie des premiers comtes de Flandre depuis Baudouin I Bras de Fer (862) jusqu'à Thierry d'Alsace (1168), voir l'étude du professeur F.-L. GANSHOF, La Flandre sous les premiers comtes, éd. RdL, pp. 125-127, Bruxelles, 1949. Pour la période suivant, G.de CANT, Jeanne et Marguerite de Constantinople Comtesses de Flandre et de Hainaut au XIIIe siècle, pp. 243, Bruxelles, 1995.
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La bataille de Bouvines 27 juillet 1214 |
En 1212, les jeunes comtes de Flandre et de Hainaut, de retour au château des comtes à Gand, sont rapidement excédés par les entreprises annexionnistes de leur suzerain français et se retrouvent dans une alliance européenne contre ce dernier: ce sera la bataille, -et pour nous le désastre-, de Bouvines (*) le dimanche 27 juillet 1214. Le comte de Flandre et de Hainaut, aura le triste privilège d'inaugurer la plus forte prison de France, récemment construite par Philippe-Auguste : la tour du Louvre ; il y restera jusqu'en 1227 ! C'est dire si le pouvoir de Jeanne de Constantinople, jeune comtesse de Flandre et de Hainaut, est alors soumis, pour ne pas dire assujetti à la France. Comme si cette triste situation ne suffisait pas, un lien familial étroit unit la comtesse de Flandre et le roi de France Philippe-Auguste qui a épousé Isabelle de Hainaut, soeur de Baudouin IX et tante de Jeanne. Le représentant de la comtesse à Mons, son bailli et conseiller, est Bouchard d'Avesnes (**), d'abord tuteur de sa soeur Marguerite puis son premier mari (***).
(*) France, dépt. du Nord, S-E de Lille, O de Tournai, à l'est de la Marque, entre Sainghin et Cysoing.
(**) Second fils de Jacques Ier, élevé à la cour de Flandre sous Philippe d'Alsace. armé chevalier par le roi d'Angleterre. DE REIFFENBERG (baron de), Histoire du comté de Hainaut, 3 vol., t. Il. p. 158, Bruxelles, s.d.. Marguerite de Constantinople, après avoir épousé Bouchard d'Avesne, épousa en secondes noces Guillaume de Dampierre deuxième fils de Guy Il. On sail que la double descendance de cette princesse donna lieu à la Querelles des d'Avesnes et des Dampierre pour la succession aux comtés de Flandre et de Hainaul. C. DUVIVIER, La querelle des d'Avesnes et des Dampierre, 2 vol., Bruxelles 1894.
(***) C. DUVIVIER, La querelle des d'Avesnes et des Dampierre , 2 vol., pp. 13-81, Bruxelles 1894. DE REIFFENBERG (baron de). Histoire du comté de Hainaut , 3 vol., t. Il, pp. 146-170, Bruxelles, s.d.. G.de CANT, Jeanne et Marguerite .
Englebert IV d'Enghien, quant à lui, a épousé en premières noces, Ide d'Audenarde, fille d'Arnould, bailli de Flandre-, et en secondes noces, Ide d'Avesnes sœur du bailli de Hainaut déjà cité (*). Voilà bien des raisons de voir le seigneur d'Enghien côtoyer les pouvoirs hénnuyer et gantois, tous deux aux mains du roi de France, qui détient la meilleure des garanties d'obéissance : son prisonnier du Louvre, Ferrand de Portugal, comte de Flandre. Dans ces conditions on peut comprendre que le seigneur d'Enghien participe à l'ost royal contre les hérétiques.
(*) Pour la succession de Jacques Ier d'Avesnes, voir C. DUVIVIER, La querelle , pp. 40-43.
D'autre part, la population et les seigneurs de nos régions étaient sensibilisés à la répression des hérétiques. Quelques bûchers ont dû frapper l'opinion. A titre d'exemple, citons le cas plus tardif de l'inquisiteur dominicain Robert le Bougre, qui en 1236, condamnait aux flammes les hérétiques de Cambrai et de Douai (*).
(*) J.-B. LEFÈVRE, abb. Maredsous, L'abbaye de Villers et le monde des moniales el des béguines au XIIIe siècle, pp. 192 et 205, dans Villers Une abbaye revisitée, Actes du Colloque 10-12 avril 1996. Voir également sur ce sujet, G. DESPY, Les débuts de l'inquisition dans les Pays-Bas au XIIIe s., dans Problèmes d'histoire du Christianisme, 1. IX, UlB, Bruxelles, 1980.
Par ailleurs, Jacques de Vitry (*), auteur d'une biographie de Marie d'Oignies (1177-1213), bourgeoise de Nivelles, interpelle l'évêque Foulques de Toulouse lui rappelant son passage dans nos régions (**). Voilà une indication directe des échanges entre une abbaye toute proche et le lointain Languedoc.
(*) Jacques de Vitry, chroniqueur du XIIIe siècle. curé d'Oignies (dioc. Liège), prédicateur dans nos régions et en Allemagne, mandaté par Innocent III à la croisade albigeoise. Devenu cardinal, il mourut à Rome en 1244. C. DEZOBRY, T. BACHELET. Dictionnaire général de biographie et d'histoire, p. 2919, 2 vol., Paris, 1889.
(**) J.-F. GllMONT, Une spiritualité wallonne au XIIIe siècle, dans Villers, p. 176.
Que savons-nous de ce seigneur d'Enghien?
Précédemment, nous rappelions qu'Engelbert IV d'Enghien, né autour de 1160, avait épousé Ide d'Avesnes (*) et qu'une série de donations de ce seigneur avaient été relevées, notamment, en faveur des abbayes de Cambrai, de Cantimpré, de Forest, de la Chartreuse d'Hérinnes et du Chapitre de Sainte-Waudru.
(*) R. GOFFIN, Généalogies enghiennoises, La Maison d'Enghien, livre l, pp. 20-25, Herne, s.d ..
En voici un relevé indicatif :
1199 Cession de cinq bonniers à l'abbaye de Cambron
1202 Don à l'abbaye de Grimbergen de biens situés à Marcq
1203 Garantie en faveur de l'abbaye de Cambron pour des biens à Ronquières
1207 Confirmation de don de la dîme de Bassily à l'abbaye d'Eename
1207 Confirmation de don d'un vassal du seigneur d'Enghien à l'abbaye de Cambron
1214 Don à l'abbaye de Forêt de droits sur le domaine Amelnis Eichout ?
1214 Confirmation d'un don de six bonniers à l'abbaye de Forest
1215 Don de la dîme de Brages à l'abbaye de Cantimpré
1216 Don à la chapelle de Notre-Dame, près d'Enghien, de quatre bonniers de terre
1217 Don de huit bonniers à l'abbaye de Cambron
1218 Don à l'abbaye de Cambron de la terre et du bois de Bouttegnies à Ronquière
1219 Siger, fils d'Engelbert IV donne toutes ses dîmes de la chatellenie de Grammont à l'abbaye de Cambron
1219 Siger donne une partie de dîme à l'abbaye de Cambron
1223 Cession il l'abbaye de Ninove de sept bonniers de bois
1223 Approbation du don fait par Jacques d'Enghien, fils d'Engelbert, et avec l'accord de son frère aîné Siger à l'abbaye de Cambron
1225 Don de revenus et de terres à un grand nombre de congrégations religieuses et notamment à l'église de Bellinghen, où il avait choisi sa sépulture
1212 Caution du seigneur d'Enghien en faveur de l'abbaye de Saint-Denis-en-Broqueroie
1219 Don de la dîme de Petit-Enghien à l'abbaye Saint-Denis-en-Broqueroie (*)
(*) On trouvera la description des actes cités ainsi que les sources imprimées qui les concernent dans A. WAUTERS. Table Chronologique des chartes et diplômes imprimés concernant l'histoire de Belgique, t. III. (1191-1225).
Nous limitons volontairement le relevé des donations è. la période qui nous concerne. Outre les actes ci-dessus, Engelbert IV est aussi cité comme témoin de nombre d'autres donations de seigneurs hennuyers en faveur de ces même communautés religieuses.
La suite des actes d'Engelbert d'Enghien (après 1225), démontre la continuité de cette politique très favorable à l'égard des abbayes. Engelbert IV était donc très concerné par les œuvres pieuses, et particulièrement motivé pour les donations à l'église. Cette motivation chrétienne a sans doute participé aussi à la décision de départ du seigneur d'Enghien.
De quand à quand le seigneur d'Enghien a-t-il participé aux affaires cathares? Peu!-on évaluer son départ et son retour d'Enghien?
Une charte du Chapitre de Sainte-Waudru cite Engelbert IV d'Enghien le 17 février 1219 (*). Par ailleurs, en l'absence de son père, c'est Siger d'Enghien qui le 16 mai 1219 donne toutes les dîmes qui lui appartenaient dans la chatellenie de Grammont, à Saarlaardinghe, Goy et Flobecq. Le même Siger, fils aîné d'Engelbert, avec le consentement de son père (absent) et celui de son frère Jacques, fait don de dîmes (non spécifiées) à l'abbaye de Cambron. Cet acte de 1219 n'indique malheureusement pas le mois et le jour (Anno Dominicoe incarnationis M.CC.XIX.). D'autres actes antérieurs montrent que lorsqu'Engelbert IV est présent à la donation, il requiert le consentement de sa femme et de ses enfants (1215), ou celui de ses fils Siger et Jacques (1218).
(*) L. DEV!LLERS, Chartes du chapitre de Sainte-Waudru, t. l, pp. 121-122.
Nous ne possédons guère d'autres éléments permettant de préciser d'avantage la chronologie de voyage du seigneur d'Enghien.
Il se tenait en son Chasteau de Wanake paroisse de Bellinghe, il en a fort bénéficié l'Eglise, en laquelle il a choisi sa sépulture avec sa femme Madame Ida. (*). Jusqu'à son dernier soupir, les actes d'Engelbert IV démontrent une belle continuité de bienveillance envers l'église. Outre les circonstances familiales et politiques qui l'ont amené en Languedoc, cette expédition cadre aussi avec sa motivation de chrétien.
(*) P. COLINS, Histoire des choses, p. 32.
Daniel SOUMILLION
Sources :
CRAE - Bulletins trimestriels - 2/96 - N° 10 - Février 1996 et 9/96 - N° 12 - Septembre 1996.
Wikipedia - Engelbert IV d'Enghien.