• 6. Suite française - Vision d'un village français sous l'occupation

     

    Suite française

     

    L’adaptation cinématographique du roman d’Irène Némirovsky offre un regard sur la vie de la population française pendant l’Occupation. Le spectateur découvre le village de Bussy et ses habitants. On note d’emblée que les personnages représentés apparaissent rapidement dans leur rôle social. Mme Angellier et sa belle-fille habitent dans le bourg. Elles occupent une maison bourgeoise. A l’opposé, nous avons les métayers qui doivent payer leur dû aux propriétaires terriens. On remarque d’ailleurs que le film offre au spectateur la vision d’un village français typique : la population se rend à l’église le dimanche, le maire est un notable et le décor choisi correspond à l’image de la ruralité à cette époque. Quant aux aristocrates, ils possèdent le château de Montmort. En outre, le vicomte s’avère être le maire de la ville. On ressent rapidement les tensions qui existent entre les bourgeois, les nobles et les métayers. Lorsqu’il doit rendre son fusil, Benoît Labarie croise la vicomtesse et lui adresse des reproches. Au-delà de la vision de la guerre, le réalisateur recrée ainsi la réalité de la société française du milieu du XXe siècle. Par ailleurs, l’arrivée de l’armée allemande est un bouleversement pour le village. Les murs font apparaître des affiches contre les Juifs. Un règlement est instauré. L’Occupation devient une dure réalité. Mais le spectateur est rapidement surpris par la vision des événements. On constate en effet que le quotidien prend le dessus et que les tensions du conflit s’éloignent peu à peu des esprits. Les soldats ennemis se réjouissent de cette parenthèse après les horreurs des combats. Ils occupent à leur aise la place principale du village et se délassent sous les regards amusés de jeunes Françaises. Le film parvient à révéler toute la complexité de la vie sous l’Occupation. Lucile semble choquée lorsqu’elle aperçoit une femme française dans les bras d’un soldat allemand alors qu’elle-même finira par succomber aux charmes de Bruno, les soldats allemands se veulent respectueux avec les familles chez qui ils logent, mais ils dévastent la maison des Perrin. Mme Angellier défend un patriotisme sans faille mais déplace ses métayers pour louer à un prix plus élevé l’une de ses dépendances à une femme partie lors de l’exode. De même, l’épisode des nombreuses lettres de dénonciation envoyées à la Kommandantur rappelle les bassesses dont tout être humain semble capable.

    La vision de l’Occupation proposée par le film illustre ainsi une large palette des attitudes et des comportements des Français durant les « années noires » selon l’expression employée par Jean Guéhenno. La victoire militaire fulgurante des Allemands lors de la bataille de France en mai-juin 1940 se traduit tout d’abord très concrètement pour les habitants de Bussy par la traversée du village par les chars allemands (panzers), illustrant une composante matérielle importante de la Blitzkrieg. L’installation durable de la Wehrmacht est ensuite illustrée par la mise en place de la Kommandantur dans le village à laquelle Bruno von Falk appartient. Celle-ci met Bussy sous sa coupe et le maire apparaît comme un intermédiaire dépossédé de son pouvoir antérieur, l’édile offrant ainsi l’image symbolique de la chute de la Troisième République remplacée par le régime de collaboration de Vichy avec le Troisième Reich. La violence intrinsèque du régime nazi est incarnée par le personnage de Bonnet, avide d’aventures et de conquêtes ou encore par l’exécution du maire du village fusillé en raison de son échec à retrouver et à livrer Benoît Labarie aux autorités allemandes locales. De même, lorsque Madeleine apparaît à l’écran le visage tuméfié, le spectateur comprend qu’elle a été torturée par les soldats allemands afin d’indiquer le lieu où se cache son mari. Quant à la dimension idéologique de l’entreprise nazie, elle apparaît de façon implicite, lorsqu’une scène montre Mme Angellier cachant une enfant juive suite à l’arrestation de sa mère, afin de la protéger des exactions antisémites des Allemands. En ce qui concerne la collaboration avec l’occupant, elle est illustrée par le couple de Montmort. En effet, la vicomtesse pousse son mari à dénoncer les agissements de l’un de leurs métayers, Benoît Labarie, afin qu’il soit puni. Ce dernier incarne au contraire une Résistance active. Ainsi le fermier n’hésite pas à désobéir au règlement imposé par l’armée allemande en conservant une arme cachée dans la grange. Lorsqu’il tue Bonnet, il agit à la fois par jalousie, mais aussi par volonté de supprimer un ennemi, et ce au péril de sa vie. Caché par les Angellier, il quitte Bussy à la fin du film pour rejoindre les réseaux parisiens de la Résistance au sein desquels il détient des contacts.

    Le film Suite française parvient donc à montrer le visage de la France sous l’Occupation tout en évitant l’écueil d’un manichéisme caricatural. Il nous rappelle que les hommes et les femmes qui ont vécu cette guerre étaient avant tout des êtres humains avec leur force et leur faiblesse. Le respect du cadre historique n’empêche pas le réalisateur de susciter une réflexion sur les divers comportements des hommes dans des situations extrêmes. L’horreur de la guerre n’est pas masquée, loin de là, mais les relations qui se nouent entre la population française et les soldats allemands sont aussi une preuve que le quotidien l’emporte sur la haine sans limite dans laquelle deux peuples sont emportés par le conflit. Une attirance irrépressible naît ainsi entre Lucile et Bruno malgré leur statut d’ennemis. Cela permet de rappeler que ces deux êtres sont prisonniers d’enjeux les dépassant totalement.

     

     

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